dimanche 5 avril 2009

Breccia rase plus près

Alberto Breccia à la galerie Martel, du 6 mars au 25 avril 2009.

Né en 1919 à Montevideo, Alberto Breccia débuta sa carrière de dessinateur à la fin des années 30 de l'autre côté du Rio de la Plata, juste avant le début de l'âge d'or de la bande dessinée argentine par des séries humoristiques, des histoires de détectives ou encore des westerns. Pas forcément par vocation, mais c'était ça ou trimer quinze heures par jour à l'usine de boîtes de conserves.


Initialement influencé par Alex Raymond et Burne Hogarth (une de mes sources cite également à mon grand étonnement Alfred Andriola, plutôt que ses collaborateurs Noël Sickles et Milton Caniff), il ne cessa par la suite, notamment avec Mort Cinder, d'expérimenter de nouvelles voies graphiques afin de traduire au mieux les propos de ses récits, se fichant d'être "anti-commercial" au grand dam des éditeurs qu'il comparait volontiers à des "vendeurs de saucissons".



À quoi pensait Breccia en se rasant le matin devant la glace ?

Dans sa jeunesse, déjà, le sujet de prédilection de cet "ouvrier du dessin" étaient les clochards qu'il dessinait à l'aide d'un morceau de charbon. On le voit également dans ce reportage dessiner à l'aide d'une lame de rasoir en guise de spatule. Mais, dit-il, "(il) aurait tout aussi bien pu utiliser une plume d'oie, un ciseau à bois ou un marteau..."

Li-An

La galerie Martel (Paris Xe) rend donc hommage à ce géant méconnu en exposant jusqu'au 25 avril une centaine de ses œuvres (certaines sont dans les tiroirs que Rina Zavagli vous ouvrira avec plaisir si vous lui demandez gentiment), comportant aussi bien de "simples" planches à l'encre de Chine que d'autres mises en couleur à l'acrylique ou au pastel, des papiers-encrés-déchirés-collés, des montages photographiques, des crayonnés, etc.


Il n'y a pas un "style Breccia" comme le disait un des visiteurs de l'expo, il y en a autant que ses histoires.

Maigre consolation, il n'y a pas qu'en France où il tarde à être reconnu : décédé en 1993, Alberto Breccia vient seulement d'être nominé cette année dans la catégorie "Hall of Fame" des Eisner awards !


À lire et à voir sur Point G magazine : un entretien avec Latino Imparato, des éditions Rackham et une vidéo avec José Muñoz, ancien élève de Breccia.


Le bon plan BD du jour, c'est "Mort Cinder. Le cabinet du temps", un formidable mémoire réalisé en 2007 par Yann Bagot, alors étudiant aux Arts-Déco, consultable en ligne. Dans la très jolie version papier, l'auteur y a même poussé le vice jusqu'à insérer des fac-similés de petits formats argentins d'époque, dont le fameux Misterix. Souhaitons qu'un éditeur tombe rapidement là-dessus.

19 commentaires:

Ronan a dit…

Il y avait eu une expo de 127 planches de Breccia lors du 8ème salon du livre de jeunesse de Montreuil et un petit catalogue avait été édité à l'époque (honteusement cher ! 70 F !). Je ne sais pas si c'est encore dispo, mais je conseille tout de même à ceux ayant raté la belle expo rue Martel d'y jeter un coup d'oeil.

Imaginaires, Alberto Breccia, Illustrateurs en Seine Saint-Denis, Salon du livre de jeunesse, Décembre 1992.




PS: Ceci était un communiqué de la mafia du neuftrois (l'institut du neuvième art bourgetin, cellule historique de la rive gauche)

Totoche Tannenen a dit…

Zut, ne me dis pas que j'ai encore oublié de citer un de tes écrits, ça devient une manie !
Sinon, à l'heure où j'écris ces lignes, l'expo n'est pas encore terminée...
En juin, ce devrait être au tour d'Art Spiegelman d'être exposé à la galerie.

R a dit…

oulalah, non, j'y suis pour rien dans ce sombre opus ! Et trop feignant pour écrire quoi que ce soit dessus ! Ce n'est qu'une maigre suggestion d'ajout au corpus d'un sujet auquel nous portons un intérêt particulier.

Boyington a dit…

Une vidéo qui fait du bien, et un pied-de-nez à tous les détracteurs des petites cases, qui disent encore que l'art et la BD n'ont rien à voir...
Surpris par la lame de rasoir. Je comprends mieux le rendu d'Alack Sinner maintenant, sans doute "inspiré" de la technique de Breccia.
Je m'en vais fissa à la galerie Martel ce week-end :-)

olivier a dit…

Première fois que j'entend l'Artiste parlé et cela donne à réfléchir : bon post ! :)

Vasco a dit…

Je savais bien que tu en parlerais de cette expo des planches originales de Gabr... de Breccia !
Hélas il est plus que probable que je ne pourrais la voir, et pourtant une de mes plus grandes gloires est d'avoir il y a bien longtemps réalisé le lettrage d'une petite BD de Breccia (et aussi une de Muñoz) sous la direction de Latino Imparato (non pas imperato si je ne me trompe). Durant cette même période j'avais vu des originaux de Breccia vraiment sidérants à Angoulème ; ce qui explique pourquoi l'imposture Gabrion me reste en travers de la gorge.
D'une certaine manière il n'y a même pas de comparaison possible, ceux qui iront à cette expo mesureront la piètre performance du copieur et le génie inégalable du copié.


vasco

Totoche Tannenen a dit…

Quand Vasco fâché, lui toujours faire ainsi.
Quelles étaient ces BD ?

Totoche Tannenen a dit…

Boyington > Tu as une bonne excuse pour laisser Mme Boyington faire les soldes toute seule.

Olivier > Merci, c'est vrai que j'ai un certain talent pour profiter du génie des uns et du travail des autres (je mets un smiley ou pas, j'hésite). J'espère que cela t'as au moins donné envie d'aller lire le mémoire de Yann Bagot...

Vasco a dit…

C'est un petit album qui avait été co-produit par vertiges graphiques et La mairie de St Herblain.
Il est visible ici en tête de liste ("Muñoz Breccia"):
http://albertobreccia-bibliografia.blogspot.com/2009/01/alberto-breccia-en-franais-alberto.html
où l'on peut par ailleurs trouver plein de choses bien intéressantes.

Li-An a dit…

C'est un travail très stimulant mais quelque fois, je trouve qu'il se regarde dessiner. Je ne connais pas tout de lui mais par exemple ses histoires autour de Lovecraft ont un rendu magnifique et en même temps, en les lisant, on peut trouver ça un peu lourdingue (en tous les cas, le sentiment que j'ai eu). Mais je suis peut être mal placé pour en parler parce que c'est une école qui m'a peu influencé. Ça viendra peut-être :-)

Boyington a dit…

Totoche: Alors là, il est pas question que madame Boyington fasse ses courses quand il y a du Breccia à voir! Toute façon même si pas consentante je la trainerais... (Toute façon elle a dit oui tout de suite, alors hein... :-))

Anonyme a dit…

Totoche: faut dire qu'on vient sur le conseil de Totoche pour que Rina ouvre ses tiroirs? ;-)

Raymond a dit…

Je ressens un mélange d'admiration (le dessin bien sûr) et d'ennui (histoires souvent opaques) vis à vis de Breccia. Mort Cinder est un chef d'oeuvre, intéressant de bout en bout, mais ses dernières oeuvres (style Dracula) ne m'ont pas séduit malgré leur originalité (honte sur moi !).

Je me rappelle d'histoires qui sont parues en petit format (c'était dans Coup Dur) il y a une vingtaine d'années. L'ambition de Breccia y était encore "modeste" mais c'était remarquable. Il me semble que c'est dans ce genre de planche qu'il est le meilleur.

Hobopok a dit…

Comme disait Mme Breccia : "Mon mari est une sacrée lame".

Boyington a dit…

Tiens, je m'appelle anonyme maintenant. Faut que je sois plus attentif :-)

Totoche Tannenen a dit…

Un max d'entretiens avec Breccia (pour les hispanophones uniquement) sur fugahistorietas .

Boyington a dit…

Nom de D..., p..... de b..... de m....!!! On a vu Calder, sympa, on a vu Kandinski, chouette, on a vu Warhol, bien, on a vu P'tit Nicolas, super (tiens je savais pas qu'il dessinait si petit le Sempé, ça surprend), et on n'a pas vu... Breccia! M...., m...., m....!!!!!!! Samedi c'était déjà fini, et snif, forcément en arrivant rue martel dimanche, la galerie était fermée. J'ai juste entrevu par la vitrine et je suis....... FRUSTRé!!!!! (Pô juste) Je veux être parisien, merde. (Oups, pardon!)

Vasco a dit…

Alors ? Quelqu'un l'a vue cette expo ?
Je crois que c'était l'occasion de découvrir la multitude de facettes de Breccia. Ensuite chacun peut ne pas en apprécier toutes ses variations de style.
Je suis assez d'accord avec Raymond à propos de l'opacité, mais je crois que beaucoup d'allusions et de contraintes liées au contexte politique nous échappent.
Quant au style, je n'ai pas non plus accroché à son Dracula (mais comme je ne l'ai pas lu et que son travail est très pensé...).
Je ne connais pas "Coup dur", c'était quoi ces histoires ? Pour ma part je crois l'avoir découvert d'abord dans "Phénix" pour Mort Cinder, puis dans "Charlie" avec entre autres sa version minimaliste du "Cœur révélateur".
En fait ce qui me plaît chez cet auteur c'est justement cette capacité d'innovation et d'expérimentation, peu acceptée en BD finalement, qui le place un peu aux côté d'un Krigstein dans une autre époque et un autre registre.
Bien sûr tout cela est souvent très formaliste et un peu froid d'apparence, mais on peut aussi dire sans complaisance, même si l'habileté pourrait en sembler une, or cette aisance ne l'a jamais installé dans une routine de facilité qui aurait été probablement bien plus payante.
Et si on peut aujourd'hui lire un peu plus de bandes-dessinées intelligentes c'est vraiment grâce à ce genre d'auteur exigeant.

Dis Totoche, tu as vu que tu es mentionné dans la "revue de presse" de la galerie Martel !
aussi j'espère qu'en tant que journaliste tu as su leur évoquer l'actualité Gabrion. ;-)

vasco

Totoche Tannenen a dit…

Oui, et il parait même que Rina est une fan inconditionnelle de Gabrion.

A propos, avez-vous vu le superbe "plagiat" de Mars Attack par Breccia chez la baraque à Fritz?
A découvrir de toute urgence.
Amazing !