samedi 22 octobre 2011

Quartier Eastern

(un billet de Marine)


 La dernière fois que j'ai essayé de faire découvrir Taniguchi à quelqu'un, c'était il y a quelques années, à la secrétaire de mon patron. Cette jeune personne m'avait ému en me racontant son enfance douloureuse qui présentait quelques points communs avec Quartier lointain qui était paru chez Casterman en 2002-2003. Aussi avais-je eu l'idée de lui offrir, à l'occasion de son anniversaire, le premier volume du manga. Peut-être cette histoire l'aiderait-elle à trouver quelques réponses aux questions qui la taraudaient toujours ? Ou tout simplement se mettrait-elle à apprécier la BD.

Quartier lointain - tome 2
(quatrième de couverture)
Jirō Taniguchi 
Casterman- 2003

N'ayant pas de retour au bout de plusieurs semaines, craignant d'avoir gaffé, je finis par aller lui demander ce qu'elle en avait pensé.
Elle me répondit que ça lui avait "pris grave la tête", qu'elle n'avait rien compris et qu'elle en avait arrêté la lecture au bout de quatre pages...
L'année d'après, je lui offris le premier tome des Blondes dont elle possède aujourd'hui la collection complète.

 Après ce fiasco, j'ai donc jugé plus prudent de laisser à Marine le soin de nous parler de l'adaptation théâtrale de Quartier lointain qui se joue actuellement à Paris : 



Quartier lointain, mise en scène Dorian Rossel, théâtre Monfort, Paris XVe, jusqu'au 29 octobre 2011.


 Jirō Taniguchi a ce pouvoir propre de faire évader son lecteur sur son île japonaise, emporté par ses souvenirs, ses paysages bucoliques, sa modernité urbaine, son réseau de transports qui agissent en métaphore du tourment intime. Les premières planches de son Quartier lointain ne disent pas autre chose que la mélancolie d’un homme arrivé, architecte, marié et père de deux filles, quarante-huit ans de vie derrière lui et tant de souvenirs lestés sur un quai de gare. Après une soirée arrosée d’alcool, il se retrouve projeté dans son village d’enfance, revenu en arrière dans le temps, dans la peau d’un adolescent de quatorze ans à la recherche de ses souvenirs.

Aujourd’hui, Quartier lointain est adapté à la scène et prend vie sous l’énergie d’une troupe d’acteurs sautillant, se partageant les rôles - garçon, fille, grand-mère, parents, instituteur et même chien. Dorian Rossel, metteur en scène de cette adaptation théâtrale, met à l’épreuve la verticalité du manga et la multidimensionnalité du théâtre. La scénographie exploite ainsi tous les angles du récit, laissant les personnages rouler, courir, s’étreindre sur la scène face au public. Et remisant au fond l’intérieur coloré et vif, fait de panneaux et d’escaliers, de bancs et de chambre à coucher.

De fait, la mise en scène de ce « manga intellectuel de référence », autobiographique par bien des aspects, relatant les souvenirs d’enfance de Taniguchi à Tottori, oscille entre rôles redistribués à chaque scène où plusieurs acteurs interprètent le héros, et personnages récurrents qui articulent le récit.

Le récit, c’est celui d’un été, celui d’un adolescent, cet homme du début, un architecte disons-nous, dont les souvenirs évoluent en deux et trois dimensions, à la verticale et à l'horizontale, dans un décor qui se joue de l’espace scénique. Au fond, le foyer, l’intérieur domestique, l’hôpital. Au devant, la cour d’école, le quai de gare, la prairie, le champ de bataille. Là, le tout juste adolescent revit, avec la sagesse d’un homme, ces quelques jours où il chercha à empêcher son père de les quitter, sa sœur, sa mère et lui, pour un ailleurs inconnu.
On est emporté dans l’évocation rythmée de cet été de promenades, jeux d’enfants, conversations avec les adultes, émotions amoureuses. Trouvailles scéniques, accessoires, costumes et panneaux mobiles confèrent à l’action une vraie pétulance. L’enthousiasme des acteurs est tempéré par les questionnements plus existentiels du héros qui cherche des réponses à la fuite de son père. Et l’émotion affleure dans les gestes de la grand-mère déroulant un fil de souvenirs lointains ou dans l’ultime face à face avec le père. Si la figure du père, froide et impénétrable, statique en opposition aux silhouettes souples des autres personnages, pétri de doute, échoue à apporter des réponses à l’homme-adolescent, c’est aussi parce que la quête de sa propre histoire se heurte souvent à l’irrationnel.

La musique poétique, les chants légers comme des cerisiers en fleurs bercés par la brise, les couleurs éclatantes et les motifs psychédéliques participent enfin d’un univers tour à tour drôle, tendre, cruel parfois, grave aussi. Nul doute que l’expérience de ce retour en arrière, bond dans le temps, nourrira les choix de cet architecte adulte, confronté à sa vie aujourd’hui et à venir.


M.J.



samedi 15 octobre 2011

Le rêve de Kassandra

Dans la série "les grandes interviews foireuses* du Plan B(d)", nous vous proposons un entretien-pirate avec Émile Bravo :

- Bonjour Émile Bravo, Le Journal d'un ingénu est un des plus beaux Spirou que nous ayons lu. Comme DSK, nous avons nous aussi complètement craqué pour la soubrette ukrainienne du Moustic Hôtel. Kassandra Stahl est si attachante, pourquoi l'avoir fait disparaître aussitôt après nous l'avoir présentée ?
 - Enfin, c'est complètement idiot, on ne peut pas "craquer" pour un personnage de bandes dessinées !  
Kassandra n'existant pas dans les Aventures de Spirou, il était tout simplement nécessaire qu'elle disparaisse pour expliquer cette absence.

- Elle n'existe pas, elle n'existe pas... Pourtant, on pense à la Cassandre grecque dont personne n'écoutait les prédictions. Et puis, en cherchant sur internet, l'archiviste du Plan B(d) a trouvé la trace d'une Lydia Stahl, agent du GRU soviétique**, née dans le sud de la Russie en 1890 et qui officiait entre New York, Helsinki et Paris où elle fut démasquée et emprisonnée en 1935***. Est-ce en travaillant sur Aleksis Strogonov que vous avez eu connaissance de ce personnage ?
 -Nooon ???? Vous êtes sérieux ? J'ai choisi ce nom uniquement parce que je trouvais que ça faisait joli...

- Hum... Certaines sources prétendent que Lydia Stahl aurait été libéré par la Gestapo pour travailler en Roumanie avant de s'enfuir en Amérique du Sud. Euuuh..., et Kassandra, qu'est-elle devenue ?
- J'imagine qu'elle a dû terminer dans une fosse commune.

- Ah.
- ...

- Donc, pas la peine de rêver d'un spinoffe des aventures de Kassandra en Ukraine?
- Non, pas le temps, je planche actuellement sur un deuxième Spirou.

- Bon. Et bien, merci quand-même M. Bravo.
- C'est moi.

 ****

(* et approximatives)
(** service de renseignement concurrent du KGB)
(*** authentique) 
(**** non, là c'est juste pour dire que c'est fini et pour faire joli)

mercredi 12 octobre 2011

Laura pose un lapin

Le chat a neuf vies, l'Hydre plusieurs têtes,
le Phénix renaît toujours de ses cendres, mais le lapin ?

Ecco, le vingt-cinquième numéro d'ANIMAls sera donc le dernier, le splendide magazine de Laura Scarpa et des éditions Coniglio rentre au clapier.
J'aimais cette revue parce qu'elle ne se cantonnait pas à la BD, qu'elle osait ouvrir ses pages à d'autres formes d'expression, qu'elle s'intéressait au dessin, aux carnets de voyages, à la littérature, la photo, la vidéo, qu'on y parlait cuisine, politique, société...


Une revue dont le but premier n'était pas de faire de l'argent, d'attirer des annonceurs, de pré-publier des blockbusters usés jusqu'à la corde mais bien de promouvoir la belle bande dessinée, la BD qui a quelque chose à dire. Une revue soucieuse de dénicher de nouveaux talents et pas seulement italiens, et dont la rédac'chef, digne héritière des Vidal et autres Mougin, était prête à parier qu'il restait suffisamment d'amoureux de la BD prêts à dépenser 5 ou 6 euros par mois pour pouvoir tenir (j'ai ma part de responsabilité : je n'avais pas osé m'abonner, ne parlant pas l'italien).
Une revue comme on n'en fait plus en France, même plus en rêve.

Alors, merci de nous avoir fait rêver, Laura, et à bientôt pour de nouvelles aventures. (à suivre).

in ANIMAls n°5
octobre 2009, ed Coniglio

 ******

FUMI (e fumetti), le nouveau blogue de Laura Scarpa : http://fumiefumetti.blogspot.com/

lundi 10 octobre 2011

Atar ta Gull

Brüno/Nury 
Atar Gull (p.10)
Dargaud, 2011

Que le grand Cric me croque si je n'ai pas déjà vu cette plage quelque part.

dimanche 2 octobre 2011

Dans les cartons de Mac Nelly


Quelques dessins éditoriaux réalisés par Jeff Mac Nelly (1947-2000) entre 1994 et 1997 sont enfin réapparus sur le site consacré à son œuvre. Je ne me souvenais plus, peut-être parce que je ne les découvrais que dans Courrier International, que son humour était aussi conservateur, peut-être aussi parce que c'était la période du mandat de Clinton. Il n'empêche, ça reste beau à pleurer. Il n'y avait que Franquin pour réussir de tels noirs hachurés.




samedi 1 octobre 2011

Chaussette blues


Un film uruguayen (oui, ça existe), un quotidien machinal, une fabrique de chaussettes minable, un patron déprimé et une employée modèle en voyage dans un Las Vegas de pacotille. Lui, plus rien ne l'intéresse, à part réparer -avec deux mains gauches- son store déglingué. Elle, entre deux âges, invisible, lui sert son maté tous les matins dans son bureau. Elle vit sa vie par procuration devant les telenovelas brésiliennes, mais dans ses yeux brille encore l'espoir de sauver cette vie minable. Un évènement imprévu va venir pertuber ce petit train-train...

Bon, je sens que ça ne va pas être facile de vous convaincre de regarder Whisky qui date déjà de 2004 et que je viens seulement de découvrir à la (Monte)vidéothèque. Si cela peut aider, précisons que Whisky, qui est le second film de deux jeunes réalisateurs et qui aurait pu être traduit en français par Ouistiti a pourtant été primé plusieurs fois, notamment à Buenos Aires, Cannes, Amiens ou encore au festival de Sundance.

Évitant le piège du film "exotique", Juan Pablo Rebella et Pablo Stoll filment la solitude, la difficulté à communiquer, les non-dits, les rencontres ratées, les occasions envolées, les instants magiques gâchés. C'est si déprimant que c’en devient hilarant. Ils reconnaissent l'influence du cinéma d'Ari Kaurismäki mais surtout de la bande dessinée, des comics, notamment de Chris Ware et de son Jimmy Corrigan, préférant filmer en plans fixes, pour mieux laisser au spectateur le soin de "reconstituer les choses, qu'elles soient absentes du cadre, non linéaires dans le temps ou encore dans les relations", d'imaginer "le mouvement, le temps qui passe", bref les espaces inter-iconiques !
Pour une fois que quelqu'un ne parle pas contre la bande dessinée.