mardi 7 février 2012

La petite fille qui murmurait à l'oreille des renardeaux

Attention, ce billet dévoile en partie l'histoire de Pistouvi / Le Pays des grands oiseaux. Mieux vaut ne pas lire ce qui suit avant d'avoir découvert ce livre exceptionnel à plus d'un titre.

Merwan / Bertrand Gatignol 
Dargaud, 2011

Dans un monde étrange, féérique, aux proportions démesurées quoique parfois oppressant et où se mélangent rêve et réalité vivent Jeanne, une fillette, et son compagnon, Pistouvi, un renardeau qui partage sa couche, mais aussi ses joies et ses peines. Les seules créatures que l'on croise dans ce Désert-B sont une déesse protectrice, douce comme le zéphyr et un impressionnant géant finalement pas si méchant, dont les pouvoirs et la force semblent infinis et qu'il vaut mieux ne pas fâcher...
On aperçoit parfois aussi au loin quelques piafs. Il semble bien qu'ils essaient parfois de communiquer mais leurs gazouillis restent incompréhensibles et il vaut mieux les éviter, d'autant qu'ils font un peu peur à Pistouvi. On a pourtant l'impression que ces intrigants volatiles se rapprochent un peu plus chaque jour...


Rappelez-vous.
Cet univers fantastique où tout semblait possible, on l'on a (à priori) tous connu et il n'est pas si loin : il s'agit bien entendu du monde merveilleux de l'enfance où Jeanne jouerait le rôle de Calvin et Pistouvi celui de Hobbes.
Originaires des Gobelins où ils se sont rencontrés, Merwan Chabane (Le bel âge, Pour l'Empire...) et Bertrand Gatignol (apparemment une pointure dans le monde de l'animation, également aperçu sur Carmen et Travis) signent ici un "thriller psychanalyique" (osons) prenant et émouvant, d'une rare intelligence et d'une encore plus rare sensibilité (j'en frissonne encore) sur les dernières années de cette enfance et la perte de l'innocence, sur le délicat passage vers l'adolescence au moment où les premières bouffées hormonales vont transformer à jamais notre vision du monde, des autres et de nous-mêmes.
Tout le monde n'en sortira pas indemne : "Il est révolu le temps des rires et des chants / Dans l'île aux enfants, il est bientôt fini, le printemps".


Ce Pistouvi étonne aussi bien par son contenu que par sa forme, hybride tant par le format (21x15 cm) et la pagination (191 p.) que par la narration entre manga, "style Gobelins/palette" et BD franco-belge. Le dessin raffiné et délicat de Bertrand Gatignol illustre à merveille les idées de Merwan en alliant réalisme et cartoon, évoquant à la fois Kon, Miyazaki (pour les bestioles) et Tezuka (scène finale) avec un je-ne-sais-quoi de Vivès (dont il partage d'ailleurs l'atelier).


Si avec tout ça vous n'êtes pas encore étonnés, Pistouvi parait simultanément en deux versions :
- la nostalgique, celle du manga en noir et blanc tramé, correspondant plutôt à la vision de Pistouvi,
- et la version cartonnée-couleurs bonbons/Barbie/shojo-en deux tomes (dont les pages de garde en bleu/blanc arracheront certainement une larme aux nostalgiques des bons vieux albums Dupuis) reflétant la vision de Jeanne !


Enfin, l'absence du nom des auteurs et de l'éditeur sur la jaquette déstabilisera certainement le collectionneur belge mais s'avère finalement logique : quel enfant s'arrête sur ce genre de détails ?

 Ceci n'est pas une dédicace de Richard Scarry

2 commentaires:

Li-An a dit…

J'ai mon idée sur le pourquoi de la version couleur et j'ai été tenté d'acheter celle-là (après avoir été tenté par la version n&b à sa sortie). Mais j'avoue que j'ai tiqué fort sur les dialogues où le "ne" de négation est systématiquement oublié "pour faire enfant".

Totoche Tannenen a dit…

Ça m'a pas gêné.

Je pensais au départ que ce n'était qu'un coup commercial de plus. Après réflexion, je trouve intéressant de créer des passerelles entre le lectorat manga et le lectorat F/B. Je trouve idiot et dangereux à long terme que, dans la plupart des librairies, le rayon manga et le rayon BD ne se mélangent pas.

J'ai lu le tome 1 couleur mais j'ai préféré la version manga. Bertrand Gatignol promet une montée en puissance des couleurs dans le tome 2.