mardi 30 juillet 2013

Dauphine blues

A l'opposé des plagiats, il y a les hommages. Iconoclastes, voire irrévérencieux comme le controversé portrait de Jijé, Franquin et Morris dressé l'an dernier par Yann et Schwartz dans Gringos locos, ou plus sages et respectueux comme la récente visite Dans l'atelier de Fournier par Joub et Nicoby.


L'un comme l'autre m'avaient laissé, pour des raisons différentes et malgré d'indéniables qualités techniques, sur ma faim : Gringos m'avait au final énervé (beaucoup de bruit, quand ce n'était pas de la vulgarité -je n'ai toujours pas digéré ce Gaston, la quéquette à l'air-, pour rien) et l’intérêt de Dans l'atelier résidait finalement (pour moi qui était assez "au point" sur Fournier) surtout dans les documents originaux reproduits en fin d'album. C'est donc dans ce contexte tendu, après beaucoup d'hésitations, que je découvrais finalement M'sieur Maurice et la Dauphine jaune...


Ne pouvant bien évidemment recueillir les souvenirs à la source puisque Tillieux (qui avait déjà joué un petit rôle dans Les Avatars) est décédé en 1978, Bruno Bazile a préféré partir d'anecdotes bien réelles, pour essayer de combler, de manière peut-être imaginaire mais toujours crédible, les trous des biographies officielles, un principe déjà expérimenté dans Les Faussaires. Le choix parait judicieux : à quoi bon en effet répéter en BD ce que les fans connaissent par cœur, d'autant que les interviews de Tillieux sont peu nombreuses, et que les autres pourront apprendre dans les ouvrages spécialisés ? Un vrai travail de scénariste, donc, et pas juste d'adaptation. L’écueil du biopic est évité.


M'sieur Maurice in Des Champs de fraises pour toujours/-Bazile/Veys/Dargaud-2002

Nous voilà donc sur la côte atlantique, notamment à Saint-Nazaire (d'où est originaire Bazile), en vacances en famille avec M'sieur Maurice en train de mettre au point le scénario du prochain Gil Jourdan, à Londres, en repérage avec Will pour la reprise de Tif et Tondu, à la rédaction avec Charles Dupuis, Thierry Martens, ou à Angoulême avec Fournier, Franquin, Gos, Roba, Walthéry*...  C'est en fait à toute la BD belge que Bazile rend hommage !

Les Cargos du Crépuscule

L'Ombre sans corps

Côté dessin, Bruno Bazile réussit, en restant discret mais sans perdre non plus sa personnalité, à restituer l'ambiance des albums du maître : la promenade dans les faubourgs de Charleroi et la scène du pont transbordeur sont bluffantes. On se croirait vraiment de retour dans les années 60/70, du moins dans les pages de Spirou et de Risque-tout, impression renforcée par la fausse bichromie. Les clins d’œils graphiques sont nombreux et donnent envie de se replonger dans les enquêtes de Gil Jourdan. Cette nostalgie assumée n'empêche d'ailleurs pas l'auteur de se demander comment Tillieux/Jourdan se serait adapté aux années 80.


Les Camions du Diable

L'ambiance va crescendo, avec notamment un terrifiant cauchemar de Walthéry (le premier des admirateurs de Tillieux), entre Les sept boules de cristal (encore St-Nazaire !) et Les camions du Diable, une aventure inachevée de Marc Jaguar. On se demande pendant tout l'album si Bazile va oser traiter l'accident de la route qui sera fatal à Tillieux et on retient son souffle en rentrant, si ce n'est dans le dernier virage, dans le dernier chapitre...

Un hommage simple, sincère, pudique, joyeux, parfaitement maîtrisé : une réussite !


Une interview de Bruno Bazile : http://pays-de-la-loire.france3.fr/2013/06/19/nantes-rencontre-avec-bruno-bazile-auteur-de-lalbum-msieur-maurice-et-la-dauphine-jaune-paru-aux-editions-treize-etrange-273371.html


(* le seul que je n'ai pas réussi à identifier, c'est ce Bob... Fictif ? De Groot ? Autre ???)

3 commentaires:

Li-An a dit…

St Nazaire, centre spirituel de la BD...

Raymond a dit…

Pour ma part, j'aime bien les biopics, et j'ai un peu regretté le caractère fragmentaire de cette évocation. Sinon, l'hommage graphique au style de Tilleux est une réussite totale !

Totoche Tannenen a dit…

Après enquête, c'est bien Bob de Groot qui apparait tiré à quatre épingles, façon Gil Jourdan, dans cet album (une anecdote qui avait été rapportée dans Schtroumpf n°34 en 1977 avant d'être reprise dans le dossier DBD consacré à M'sieur Maurice).