vendredi 11 mars 2011
Jossot, en dehors du troupeau
La Bibliothèque Forney présente sans doute la plus intéressante exposition parisienne du moment, qui vous permettra peut-être aussi de découvrir l'œuvre de Gustave-Henri Jossot (1866-1951), peintre et caricaturiste libertaire, pro-Dreyfusard, de ses péchés de jeunesse dijonnais à ses dernières toiles orientalistes tunisiennes.
On rappellera brièvement (un site est entièrement consacré à Jossot) qu'après avoir réalisé quelques affiches publicitaires, ce contemporain d'Aristide Delannoy, Jules Grandjouan, Juan Gris, Théophile-Alexandre Steinlen... que l'on sent particulièrement influencé par Henri Rivière et les Nabis ou encore par Félix Vallotton et les Expressionnistes, publia essentiellement dans L'Assiette au beurre, La Caricature, Die Jugend, Le Rire...
Se faisant d'abord la main sur les bourgeois, les "femelles", les alcoolos..., il prend par la suite un malin plaisir à s'attaquer à l'armée, à la justice, à taper sur le clergé. Mais ses dessins les plus puissants sont sans conteste ceux fustigeant le colonialisme. Par les temps qui courent, on savourera tout particulièrement ses précieux conseils à ces ingrats de Tunisiens révoltés contre leur "père", cette lettre où il explique qu'il est convaincu que "les révolutions ne changent pas les choses mais seulement leurs noms", ou cette autre ou Jossot explique ce qu'il pense du "travailler plus pour gagner plus" (je vous laisse deviner...).
L'humour caustique et féroce de Jossot n'a rien à envier à celui de nos Cabu, Reiser, Siné ou Willem actuels, et sa ligne claire, quoiqu'épaisse, n'a pas pris une ride. Plus étonnant, cent ans après on rit encore devant chacun de ses dessins, toujours pertinents et compréhensibles, même sans en connaître le contexte (contrairement à ceux de Daumier par exemple) : la preuve avec ces seize vignettes de Dressage, véritable proto-BD parue en 1904 dans le numéro 144 de L'Assiette au beurre, à découvrir sur le site Coconino-world.
A l'évidence, Jossot s'impose donc comme l'ancêtre direct d'Hara-Kiri, qui n'apparaitra finalement que neuf ans après sa disparition, en 1951. Les dessinateurs de Charlie-Hebdo lui rendent d'ailleurs un hommage en fin d'exposition.
Conchiant la société de consommation et le mode de vie occidental et après avoir perdu sa fille foudroyée par une méningite, Jossot s'exilera en Tunisie où il se convertira à l'islam, religion des vaincus, afin de "conquérir sa liberté intérieure, toute action extérieure étant vaine". Il ne remettra jamais les pieds en France. C'est sa première exposition rétrospective.
Jossot-Caricatures-De la révolte à la fuite en Orient (1866-1951).
Exposition du 1er mars au 18 juin 2011 à la bibliothèque Forney, 1 rue du figuier, Paris IVe (voir aussi la mini-galerie en ligne).
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7 commentaires:
C'et très beau en effet.
C'est vrai que ça fait envie.
ça me rappelle aussi un cartouniste du Margouillat qui tapait sur un peu tout ce qui bouge. Râââh, comment s'appelait-il, déjà ?
hasard des parutions, l'éditeur finitude vient de rééditer le foetus récalcitrant du même jossot. je ne l'ai pas lu mais bon, je fais le lien pour ceux que ça intrigue.
Je n'en ai pas parlé, ne l'ayant pas lu non plus.
Pour ceux qui ne pourront pas venir la voir, signalons qu'un catalogue de l'exposition a été édité par Paris Bibliothèques : "Jossot, caricatures, de la révolte à la fuite en Orient". Il est rédigé par Michel Dixmier et Henri Viltard et préfacé par Cabu.
Expo prolongée jusqu'au 2 juillet : ne manquez pas cette chance !
Lire aussi le billet d'Hobopok dimanche :
Du même auteur, un recueil de pamphlets intitulé Sauvages blancs ! éditions Finitude, 2013.
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