dimanche 4 octobre 2009

L'Évangile selon Mathieu

M-A. Mathieu, Delcourt, 2009

Cela ne me rajeunit pas mais je suis assez fier de me compter, mine de rien, parmi les plus anciens et fidèles lecteurs de Marc-Antoine Mathieu (frère de Gérard), un auteur (également scénographe reconnu) dont le talent et l'intelligence lui permettent de s'adresser aussi bien au grand public habitué aux surpr super-productions Delcourt (qui édite notamment Julius Corentin Acquefacques, Prisonnier des Rêves, un lointain cousin de Little Nemo, fonctionnaire au ministère de l'humour) qu'à l'exigeant et raffiné lectorat élitiste de L'Association (où il a déjà signé trois "Pattes de Mouches").

Gérard Mathieu et Clotaire Legnîdu
in Le Banni n°1 (février/mars 1988)

Ses premiers récits, très noirs et d'ailleurs déjà tout de noir et blanc z'habillés, assez influencés par Tardi, parurent dans les pages de Marcel/Le Banni, deux éphémères magazines lancés dans la deuxième partie des années 80 par Marcel Coucho (Trade Marque), ancien membre illustre de l'écurie Fluide Glacial dont je regrette toujours amèrement le départ. On peut aussi en rapprocher les histoires, bien que plus crades, du dessinateur Kafka, également présent au sommaire du Banni.

L'unique numéro de Marcel,
qui aurait mérité de concurrencer plus longtemps Fluide Glacial

Deux histoires de cette époque, Octobre Noir (Marcel I, 30-33) et Chez Noël (Le Banni I, 19-23), ont été reprises dans l'album L'Ascension et autres récits, où Mathieu abordait déjà la question du divin, dans un récit-titre commandé en 1994 par les éditions Autrement pour le collectif Le Retour de Dieu.Paris-Mâcon, un autre de ces récits complets (Le Banni III, 34-45), réalisé avec son autre frère Jean-Luc sous le pseudonyme commun Mathieux, est également paru en album à l'italienne dans la Collection X de Futuropolis.


Les quatre planches de Monsieur Hamid (Le Banni II, 6-9) dont l'ambiance rappelle cette fois le blues de Louis Joos ou des premiers Loustal, ne furent reprises que dans le tirage de luxe de l'album Le Début de la Fin/La Fin du Début (J.C.A. tome 4)
Quant à N'Entrez pas Dans le Jardin Fermé (Le Banni IV, 50-56), un récit de sept pages au lavis, co-écrit avec Jean-Luc, il reste toujours inédit en album.


Aujourd'hui, bien que paraissant moins pessimistes (?), les récits de Mathieu demeurent assez sombres. Les cauchemars ont fait place à la rêverie et le dessin, s'il ne s'est pas éclairci -il faut voir Mathieu jouer avec les noirs dans Les Sous-sols du Révolu (pp 20-21)-, est devenu plus personnel, tantôt épuré, tantôt surchargé, mais immédiatement reconnaissable et tout à fait adapté aux mondes kafkaïens peuplés de foules anonymes amassées en troupeaux au pied de constructions stalino-schuiteniennes, dépeints par l'auteur : Brazil et Les Cités Obscures ne sont pas loin.


Aucun paradoxe ne résiste aux raisonnements par l'absurde de M.-A. Mathieu qui nous rappelle, un peu comme le faisait le magazine Pilote de la grande époque ou, dans un tout autre genre, Émile Bravo (également passionné par la science), avec Les Épatantes Aventures de Jules, que l'on peut s'amuser à réfléchir !

Ex-libris en 3-D (à déguster pleinement avec les lunettes anaglyphes !)
pour La 2.333e Dimension, Delcourt, 2004.

Il faut absolument au moins lire L'Origine, le premier tome des rêveries de Julius Corentin Acquefacques dont la faille spatio-temporelle (nous n'en révèlerons pas l'astuce ici) que je pris au premier coup d'œil comme un défaut, faillit me faire rapporter le livre à la librairie
!


Ce n'est d'ailleurs peut-être pas un hasard si, comme Émile Bravo dans La Question du Père (la cinquième aventure de Jules, où l'un des protagonistes n'est autre que le Père... Mathieu !), M.-A. Mathieu, qui se définit comme "agnostique pratiquant", aborde lui aussi le thème de la religion dans son dernier ouvrage.
En convoquant Dieu en personne sur Terre et en confrontant ainsi le divin au réel, il exploite peut-être le paradoxe ultime. Que sortira-t-il de cette rencontre entre cette Entité Spirituelle et les Hommes, croyants ou non, qui ne vont pas tarder à lui demander de rendre des comptes ?

Ex-libris pour Mémoire Morte, Delcourt, 2000.

On l'a bien compris, nul besoin d'être passionné de Mathématiques, de Physique ou de Spiritualité pour savourer ces histoires, car en vérité je vous le dis, c'est bien de notre société matérialiste, consumériste, mondialisée, de plus en plus judiciarisée et hyper-médiatisée jusqu'à l'absurde qu'"Il" est censé avoir créée que Mathieu se joue dans Dieu en Personne.
Il serait regrettable que le format (+- 130 pages), le caractère à priori austère (absence de couleurs) et le prix (commandez-le à la bibliothèque si vous ne pouvez pas dépenser les 17,5 € qu'il mérite cependant) fassent rater cet album aux "novices". Une suggestion pour en minimiser le coût, Mr Delcourt : pourquoi ne pas l'avoir imprimé sur... papier-bible ? Arf ! Arf ! Arf ! Hum.
Bref, heureux ceux qui ouvriront là pour la première fois un bouquin de Marc-Antoine Mathieu car n'est-il pas écrit que "les derniers seront les premiers" ?
Allez, amen et bon dimanche, les z'ouailles.


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Pour en savoir plus :
Tout sur Marc-Antoine Mathieu.
Interview chez Delcourt pour Dieu en Personne.

6 commentaires:

Totoche a dit…

Première phrase qu'un type m'adresse ce matin alors que je sortais, à moitié endormi, du wagon :
- "Vous avez des questions sur Dieu ? Les catholiques de *** vous attendent !"

Si c'est pas un signe divin, ça ! ? !
Je ne savais pas que le blog était lu par tant de monde !

Raymond a dit…

Ah ... quand on me parle de Dieu, je dresse l'oreille.

Il faut avouer qu'après 40 ans de réflexion, je n'ai toujours pas pu décider si il existe ou non.

Bon, je suis assez lent, c'est vrai.

Est-ce que M.A.M. m'apportera la réponse ? ;-)

Li-An a dit…

Désolé, rien lu de Marc Antoine Mathieu (à part les planches "gags" dans Pavillon Rouge que j'ai bien aimées d'ailleurs. Son dessin est trop froid pour moi. Et l'ensemble trop réfléchi ? M'étonne pas que Raymond ait dressé l'oreille :-)

Raymond a dit…

Les premières histoires de Julius Corentin Acquefacques sont des petits chefs d'oeuvre qu'il faut découvrir. M.A.M. y explore les limites de la BD et il fait tout cela avec humour.

totoche a dit…

à Raymond :
Je crois que pour MAM, la réponse est claire.

à Li-An :
Tu auras donc 2 devoirs de vacances :
- primo : lire "L'Origine",
- deuzio : visionner "Mon Oncle".
Parles-en au prof de maths et au lecteur amoureux de S-F : je suis sûr qu'ils adoreraient : car c'est bien souvent de la science-fiction.

à moi : ton billet est un échec cuisant si ceux qui l'ont lu pensent encore que les chefs d'oeuvre de MAM sont des BD "intellos"...

Je ne peux m'empêcher de sourire en pensant à l'angoisse de l'imprimeur qui doit se demander à chaque nouveauté ce que MAM a bien encore pu inventer pour l'enquiquiner...

Totoche Tannenen a dit…

Saperlipopette !
Delcourt sort vraiment "L'évangile selon Matthieu" en BD !
Je disais ça juste pour déconner, moi...