jeudi 14 août 2008

Citalopram : antidépresseur inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine


J'ai fait la connaissance de Gilles Rochier en 2007 lors du festival malouin "Quai des Bulles" : il y tenait un petit stand en compagnie de son ami Jacques Des Portes avec qui il avait auto-édité Thony Blanco, un petit coffret de deux albums dont la particularité était de présenter deux versions du même scénario, mis en image par chacun des deux compères.

Thony Blanco par Jacques Des Portes

Le fait d'apprendre de la bouche-même de Gilles Rochier que leur production-maison avait été encollée par sa propre grand-mère sur la table de sa cuisine fut l'argument de vente décisif (j'aime les histoires trash).
Le pétillant personnage et le concept m'ayant tout de suite séduit, nous entamâmes une discussion à bâtons rompus qui nous mena sur le "brûlant" sujet "des banlieues".


Et c'est là que je me tapai la méga-honte :
T. T : - "Tu vois, ce qui manque, c'est un type qui fasse des histoires sur la banlieue, la vraie, mais pas celle de Tardi, celle d'aujourd'hui ..." (le con ...)
G. R : - " Ah ben, c'est exactement ce que je fais depuis plus de dix ans."
T. T : - "... Ah ? Hum ... Brrrrm, euuuuh, c'est à dire, ... Je."
Intérieurement : -"Bon, ferme ta gueule là."
G. R : - "D'ailleurs, il y a un stand là-bas où ils ont un de mes bouquins, Dernier Étage, à 2 €, si tu veux te faire une idée."

Le plan pour aller chez Gilles Rochier

Ce que je ne savais pas non plus, c'est qu'entre-temps (en 2006), la boîte où Gilles bossait depuis douze ans avait coulé, et qu'il avait touché le fond avec, essayant de surnager à l'aide d'une bouée, curieusement confectionnée par son médecin généraliste à l'aide de boîtes d'antidépresseurs (Ah, ces généralistes ... Ch'te jure ! Y'aurait de quoi écrire un blog !) ...

Loin de moi l'idée de faire un papier voyeur à la Closer, je voulais juste attirer votre attention sur le très beau Temps Mort, le petit dernier dont G. Rochier a récemment accouché, mettant à profit cette parenthèse imposée dans sa vie, aussi involontaire que brutale. (la parenthèse, pas sa vie)

G. Rochier y raconte, avec son dessin "brut de décoffrage", sobrement rehaussé par une efficace bichromie (dûe à Jean-Philippe Garçon), comment il avait traversé cette difficile épreuve, entouré par sa famille, secoué jusque dans son pieu par ses amis que son boulot avait pourtant fait perdre de vue, et surtout motivé par son carnet de croquis, loin de qui il m'avoua "se sentir mal au bout de deux jours".
C'est ce salutaire carnet qui lui permettra d'observer justement, avec finesse et tendresse, cette "banlieue" dont on parle en se bouchant le nez dans les journaux télévisés et que l'on assimile trop souvent à la "racaille" dans les discussions pas seulement parisiennes.
La réalisation de ces bouts de dessins l'aidera finalement à se réveiller et à redécouvrir petit à petit la vraie vie (pas celle des BD d'héroïque-fantaisie) et ses petits plaisirs, réapprenant à causer le vrai français avec ses vieux potes, reprenant plaisir à collectionner les onéreuses Nike, bouffer le classique bo-bun du boui-boui asiatique ou boire un café dégueulasse chez le connard de buraliste d'en-bas.


Il réussira finalement à prendre du recul, et même de la hauteur sur tout ce petit monde en allant s'isoler, comme il le faisait déjà dans Dernier Étage, pour méditer (sans gourou, psy, ni autre illuminé en soutane ou à chapelet) et se remettre en question, toujours en dessinant, sur la canopée des tours - ses tours - qu'elle soient de Colombes ou de Nanterre, et qu'il arrive à rendre humaines et "aussi belles que des grands arbres".

Nanterre, Neuf-Deux (Deux-Neuf en verlan)

En conclusion, je n'oserai(s ?) pas dire que cette mise au chômage aura finalement été une chance pour Gilles Rochier, mais en tous les cas, cela aura été une aubaine pour nous autres lecteurs, qui avons ainsi pu découvrir un grand auteur de "bande dessinée contemporaine".

Pour toutes ces raisons au moins, ce livre devrait se trouver dans toutes les bonnes ... banlieues (au moins à la médiathèque !).

Ah ben oui, c'est la banlieue, quand même ! :-)

Allez hop, Plan B(d) vous offre un deuxième Rochier pour le même prix !

14 commentaires:

Hobopok a dit…

J'avais bien aimé effectivement Dernier étage. Assez efficace, assez drôle. Malgré les habituelles approximations linguistiques.

Ceci dit je ne suis pas sûr qu'il soit très avisé de courir les festivals en réclamant à tout le monde des projets sur la banlieue ! la banlieue ! la banlieue ! C'est la dernière tarte à la crème. Ça tend à remplacer les mystères insondables de l'Afrique éternelle. A moins que ce ne soit dans l'intention louable d'empêcher Larcenet de s'autosaisir du sujet. Dans ce cas d'accord.

Et comme je ne peux pas m'empêcher de finasser : n'étaient-ce pas plutôt "des amis de boulot que son absence de boulot lui avait fait perdre de vue" ?

Anonyme a dit…

Beau témoignage sur la banlieue.

Il y a "Tendre Banlieue" de Tito qui se situe dans la même veine, pour le scénario bien sûr, parce que le dessin ...

Le blog de la Dresse RRR a l'air très intéressant !

Vive le Citalopram ;-)

Li-An a dit…

Ah c'est sûr, c'est pas du Tardi. Mais curieusement, en lisant cet extrait, je ne suis pas du tout tenté. En général, quand les classes de banlieue débarquent dans un festival, ils essaient de me tirer mes stylos, me demandent si j'ai bien dessiné toutes les cases de tous les albums et finissent par m'insulter (et je n'invente rien ! :-))/

Anonyme a dit…

Justement, Li-an, c'est bien la remise en cause de ce "en général" qui fait tout le sel de ce livre (il me semble).

Li-An a dit…

J'ai suffisamment de recul pour imaginer qu'il y a des gens doués et sympas et ouverts en banlieue :-) Malheureusement, je n'ai pas l'occasion de les fréquenter (bon, je dis ça mais mon fiston a été scolarisé dans un quartier d'Orléans qui n'a rien de rupin).
De toute manière, ces gamins sont prisonniers d'une vision du monde qu'ils s'imposent à eux-mêmes (tout le monde avec une casquette et des baskets et qui aime le rap et pas de jupes svp) (oh aoh, je relis ça et je me rends compte que je devrais aller m'acouder à un bar).
Mais comme dit Hobopok, Totoche prend un peu le problème à l'envers. Ce n'est pas des BD sur la banlieue dont on a besoin. Ce sont de grands auteurs qui aient envie de parler de la banlieue. Et en même temps, si on pouvait nous parler des paysans, des militaires, des plombiers et des SDF, ça pourrait le faire aussi. Mais de toute manière, je suis plus intéressé par une création d'évasion que par une description (éventuelle) du réel (avec toutes les réticences que je peux avoir sur le terme "réel").

Anonyme a dit…

Hobopok et Li-An >
Mais c'est bien ce que j'écris : Gilles Rochier EST un grand auteur (il suffit de le lire pour s'en rendre compte) qui a envie de parler non pas de "la banlieue" et de "sa tarte à la crème" mais de SA banlieue, celle où il vit tous les jours ...
(je précise que notre discussion avait eu lieu, si je me souviens bien après les "émeutes" et autres histoires de "karcher" ...)

C'est sûr, son style graphique nous change des canons Franquinesques, Zepeux, Tardiesques ou Mœbiusiens. Mais, (à mon humble avis) tout comme pour le "dessin de mangas", je pense qu'il faut habituer notre œil pour que notre cerveau mérite d'y découvrir un récit intéressant.

Pour moi la "tarte à la crème" serait justement de faire faire un récit par un "vieux" ayant "réussi" , la cerise sur le gâteau serait qu'il habite Paris intra muros ou dans un beau pavillon de banlieue en pierre meulière ...

Hobopok >
Ben non, ses potes sont tous au chômage ...

Après c'est une histoire de goût personnel bien entendu, je n'oblige personne à acheter le bouquin ... Soyez rassurés !
:-)

Vasco a dit…

Mais dis donc, ça m'a tout l'air d'un honteux plagiat de "Tom Tom et Nana" !

vasco

Totoche Tannenen a dit…

Ce commentaire me parait bien étrange, quelque chose m'échappe : peut-être ne suis-je pas encore bien réveillé ? Tu fais allusion au tome 12 : "Et que ça saute" ?
Il faut dire que ma connaissance de la série de Bernadette Després et Jacqueline Cohen est quasi-nulle.
J'attends tes explications avec angoisse !

Li-An a dit…

C'est vrai que le dessin fait penser au travail de Bernadette Després.

Vasco a dit…

Mince Totoche, j'ai oublié la ponctuation dans mon com ! -> ;-) MDR LOL ^_^

Comment ça tu connais pas TomTom & Nana ! ?
Bin, moi je connaissais pas Rochier et je trouve un petit air de famille dans le trait de ces bd qui se passent chacune dans des banlieues.
C'est marrant, c'est tout, mais certainement pas du plagiat ; Rochier a peut-être été nourri au "J'aime Lire".

vasco

Totoche Tannenen a dit…

Effectivement, maintenant que tu le dis, il y a un petit air de ressemblance. :-)
Non, je les aperçus, vaguement feuilletés, mais j'avoue n'avoir jamais lu "Tom-Tom et Nana" ! (Tu sais, moi, sorti de "Mortadel et Filémon" ...)
Tu as un épisode à me conseiller en particulier ?

Li-An a dit…

Je te conseille l'épisode où ils font des bêtises mais tout se termine bien à la fin.

Vasco a dit…

Très bon choix, Li-An !
Mais c'est vrai que toutes leurs aventures se valent. C'est même étonnant une telle constance.
J'y pense, ce sont un peu les seuls dignes successeurs de "Totoche et Jeannot" (et Corinne).
Bon, je ne connais pas tant que ça, mais j'ai des enfants, et je leur en ai lu pas mal, et il me semble qu'au début de la série le style était assez proche de ce que tu nous montre de Rochier (avec hachures et pointillés un peu "maladroits").
Maintenant, ça ne vaut peut-être pas le coup d'aller plus loin sur la question... Quoique... si tu a l'occasion d'en parler avec Gilles...

Li-An a dit…

M. Després est une personnalité en effet. Ils résident près d'Orléans et j'ai eu l'occasion de les croiser mais je n'ai pas encore visité la fameuse maison.