En 1984, bien avant le "Corbac aux baskets" de Fred (1993), apparaissait à la une du numéro 2387 du journal Spirou, un drôle de volatile répondant au nom de HatShoe, rédac'chef de La Tribune dont les bureaux, situés en pleine forêt, étaient perchés juste sous la canopée.
Il s'agissait en fait de la traduction du strip "Shoe", (nom finalement conservé pour l'édition en album) créé outre-Atlantique par Jeff McNelly dès 1977 et publié entretemps dans plus de mille journaux aux quatre coins de la planète.
Comme pour le strip "Tiger" de son compatriote Bud Blake (1918-2005), publié à la même époque par Spirou, les gags me laissaient souvent de marbre : l'humour, la culture, les situations étaient-elles trop typiquement "américaines" ? La traduction, comme pour les séries TV US, s'avérait-elle inefficace ou, pour les jeux de mots, trop souvent impossible ? Ou bien était-ce tout simplement et plus probablement un manque de maturité et d'humour de ma part ?
Je tombai en revanche immédiatement amoureux du dessin de McNelly, à la fois élégant et poétique, mais également nerveux, hachuré, "acéré", peut-être par ce qu'il me renvoyait inconsciemment à celui d'un Franquin des années 80.
Je devais découvrir quelques années plus tard (était-ce dans les pages de Courrier International, ou bien lors d'une exposition consacrée aux dessins de presse, organisée par ce magazine du côté des Invalides ?) que McNelly n'était pas seulement un talentueux dessinateur de strips, mais surtout un immense, peut-être le plus génial, des dessinateurs de presse de tous les temps, dont la plume effectivement particulièrement aiguisée fut justement récompensée par de multiples prix, dont 3 Pulitzer en 1972, 1978 et 1985.
Né en 1947 à New York d'une mère journaliste et d'un père directeur d'une agence de publicité, McNelly publie ses premiers articles et dessins dans le Chapel Hill Weekly, le journal de ce patelin de Caroline du nord où il effectua ses études, édité par un certain Jim Shumaker, qui deviendra son mentor et lui inspirera le personnage de Shoe des années plus tard.
Il rejoint en 1970 le Richmond News Leader en Virginie où il se fait un nom, et qu'il ne quittera qu'au tout début des années 80, finalement débauché par le Chicago Tribune.
Il y a quelques années, un site, malheureusement aujourd'hui disparu, regroupait une bonne partie de ses "editorial cartoons", tous plus magnifiques les uns que les autres.
Quelques images reposent peut-être encore sur le disque dur de l'ordinateur d'un de mes anciens boulots, et qui a de toutes manières probablement fini à la décharge ...
Quel regret, d'autant que le dessinateur sudiste, décédé en 2000, semble avoir pratiquement disparu de la mémoire du ouaibe et que jusqu'ici, personne ne semble avoir été intéressé par l'(a ré-) édition d'une compilation qui serait à la fois un formidable manuel d'Histoire, un fantastique cours de dessin et une superbe leçon de clairvoyance.
Hormis cet article de Wikipédia dont je me suis largement inspiré, le site actuel de Shoe qui ne présente que le daily-strip repris par ses assistants Chris Cassatt et Gary Brookins, et les superbes toiles en couleurs que présente la Gallery on Greene de Key West en Floride, où McNelly aimait passer l'hiver, on ne retrouve pratiquement plus de trace de ses innombrables travaux réalisés pour la presse ... Y aurait-il un problème d'héritiers ???
La mémoire de Jeff McNelly subsiste néanmoins plus ou moins à travers le trait de nombreux dessinateurs politiques du monde entier, comme ses compatriotes Mike Peters (l'auteur de Grimmy, publié par Dargaud) et Jim Borgman (Zits, chez Rackham), ou bien encore le Suisse Patrick Chappatte (Reportages BD, Le Temps éditions) et le Néerlandais Tom Janssen, alias Tom (Courrier International, Trouw (NL))...
Tom Janssen
Je remercie la Gallery on Greene de m'avoir gentiment communiqué les plus belles images qui illustrent cette page.
(si j'étais vous, je me dépêcherais d'en profiter, je ne sais pas si elles vont pouvoir rester longtemps ...)
(si j'étais vous, je me dépêcherais d'en profiter, je ne sais pas si elles vont pouvoir rester longtemps ...)
8 commentaires:
C'était un peu ce que je me disais en lisant la tête du billet : ce type là a davantage un dessin pour la presse que pour la BD. Peut-être peut-on lui donner crédit d'avoir contribué à forger ce style si caractéristique de la presse américaine, anguleux, nerveux, hachuré, que tu crois avoir reconnu jusque chez Chappatte.
Mais il faut alors aussi, malgré les indéniables qualités techniques, déplorer l'uniformisation que ça a produit dans le cartoon de presse américain, où, le moins qu'on puisse dire, la variété de style n'est pas à la mode, contrairement à disons, la France, mais c'est valable dans le reste de l'Europe, où on ne méprendrait pas un Cabu pour un Plantu ni un Pessin pour un Luz. Une forme de disneyisation du dessin de presse, qui de surcroît tend à se répandre dans des pays sous l'influence culturelle des Etats-Unis tels que l'Amérique latine ou les Philippines... Comme si les lecteurs ne pouvaientt plus regarder, comprendre, et apprécier qu'un style de dessin.
Tout à fait d'accord !
Je ne suis pas spécialiste du dessin de presse américain et je ne sais pas si Danziger ou l'Australien Oliphant ont influencé eux-même McNelly. (certainement, j'imagine ...)
Il y a quelques années, il était facile de reconnaitre dans Courrier International qu'un dessinateur de presse était Etasunien en raison de ces tics graphiques, maintenant ce n'est plus si aisé. L'héritier français me parait être Ranson.
Je pense cependant qu'il serait injuste d'accuser McNelly de cette "déviation" ...
Il serait intéressant de savoir si les "responsables" sont les "suiveurs" ou la rédaction du journal, commanditrice des cartoons.
Je constate que tu tiens le même raisonnement que Li-An au sujet de Mary Blair :-)
Enfin, je ne suis pas sûr, qu'aux yeux d'un lecteur "du reste du monde", le trait d'un Riss, d'un Charb, d'un Luz, d'un Tignous, d'un Reiser, d'une Catherine Beaunez, d'un Pétillon ou d'un Cabu apparaisse si "différent" ? ...
Mais à part ça, je suis d'accord :-)
Bel article, qui me fait penser à "La vie est belle malgré tout", l'album de Seth.
Dire que ce dessinateur est passé dans Spirou! Je suis passé complètement à côté, moi aussi.
Il me semble qu'on trouve assez facilement l'album en occaze.
Tu donnes des idées d'achats. Ma femme va te maudire :-)
Si cela peut aider un peu ta femme, - tu devrais prendre Colombo (celui de Jamic par exemple) comme Gravatar :-) - je dirais que je trouve toujours les gags pas toujours super drôles, et que cet album n'est pas indispensable (sauf pour découvrir McNelly, évidemment ...) comme le sont, dans le registre du comic-strip, les "Calvin & Hobbes" de Bill Watterson, par exemple.
J'en profite pour dire que si quelqu'un connait un recueil des "editorial cartoons" ou a des images sur son disque dur, je suis très intéressé.
D'avance, merci.
Moi non plus, ça ne me faisait pas rire ces gags dans Spirou.
Pour ce qui est de l'influence, je pense que vu l'imagination artistique des quotidiens d'infos "sérieux", les rédac chefs devaient être ravis de trouver du "ça ressemble à ça".
C'est plus le plan B, ça devient carrément le plan Marshall ici.
... il faut aussi te féliciter pour la truculence du titre de ce billet ! :D
Truculent, truculent ... Je t'en prie.
Enregistrer un commentaire