vendredi 29 août 2008

L'attentat du 23 septembre 1982

(L'assassinat de l'Oncle Paul)


Au début des années 80 (mon "âge d'or" personnel du journal Spirou), le fameux duo iconoclaste et sulfureux constitué par le scénariste Yann (Yannick Lepennetier) et le dessinateur Didier Conrad, à qui le rédacteur en chef, Alain de Kuyssche, avait demandé quelques temps auparavant de mettre un peu d'animation dans les pages du magazine (avec le succès que l'on sait), décidait une fois de plus de sévir en s'attaquant à une figure mythique de l'hebdomadaire : "Les Belles Histoires de l'Oncle Paul".

"Les belles", puis "les plus belles histoires de l'Oncle Paul"
furent rebaptisées "Histoires en mille morceaux" à partir de 1980.

Cette série fut imaginée en 1951 par l'immense scénariste Jean-Michel Charlier (créateur, entre autres, des Chevaliers du Ciel, Tanguy et Laverdure, de l'aviateur US Buck Danny, du pirate Barbe-Rouge, du lieutenant Blueberry ...), avant d'être reprise dès la même année par Octave Joly.

Ces courtes histoires complètes hebdomadaires étaient le garant intellectuel du journal et permettaient de rassurer les parents des jeunes lecteurs, apportant un côté éducatif au journal en relatant sobrement, sérieusement, parfois calamiteusement et surtout chiantissimement, des épisodes de la grande et de la petite Histoire de l'humanité.

Le dessin en était confié à différents dessinateurs, confirmés ou débutant, travaillant tous dans un style réaliste.
Se succédèrent donc, dans le désordre, des grands noms comme Eddy Paape (Luc Orient, Marc Dacier), Jean Graton (Michel Vaillant), Gérald Forton (Bob Morane), Liliane et Fred Funcken (Le Chevalier Blanc), René Follet (Valhardi, Les Zingari), MiTacq (La Patrouille des Castors, Jacques LeGall), Arthur Piroton (Jess Long), Guy Mouminoux (Le Goulag) ... mais également des petits jeunes comme Willy Lambil (les Tuniques Bleues, Sandy et Hoppy), Jean-Claude Mézières (Valérian et Laureline), Hermann (Jérémiah, Comanche, les Tours de Bois-Maury), Derib (Buddy Longway, Yakari), Franz (Jugurtha, Poupée d'Ivoire), etc, etc.
Autant dire qu'on n'était pas là pour rigoler ! Et ce ne sont pas les exceptionnelles contributions de Jean Roba (Boule et Bill, la Ribambelle), Paul Deliège (Bobo, les Krostons), Marc Hardy (Garonne et Guitare, Pierre Tombal, la Partouille des Libellules) ou Luc Mazel (Câline et Calebasse, Boulouloum et Guiliguili) qui allaient dérider le cher tonton !

Cela m'épate d'ailleurs toujours quand des anciens "ADS" (Amis de Spirou) me témoignent de leur engouement à l'époque pour cet Oncle Paul : personnellement, ces histoires m'ont toujours gravement gavé et je ne les lisais en ultime recours que quand j'avais vraiment épuisé le contenu du périodique !

Daniel Goossens, qui s'était perdu par là, avait certes déjà allumé le feu avec une parodie parue l'année précédente dans le n° 2238 ...

Philippe Bercovici est crédité par erreur dans le bandeau -titre.

Mais imaginez donc l'onde de choc lorsque Yann et Conrad débarquèrent avec leur version personnelle de l'Oncle Paul, ayant bien évidemment pris soin de choisir, avec leur légendaire délicatesse, des sujets légèrement sensibles pour les chers têtes blondes et mettant par ailleurs à contribution des dessinateurs atypiques pour cette série :
La première bombe, qui explosa dans le n° 2298 fut "L'Ogresse des Carpates" illustrée par Will (Tif et Tondu, Isabelle), suivie de "La Bête du Gévaudan" par Dany (Olivier Rameau) (pratiquement sa seule apparition dans ce magazine), et de "Jack l'Éventreur" par Bercovici (Les Femmes en Blanc) !


Le dernier dynamitage eut lieu dans les pages du vol n° 2319 daté du 23 septembre 1982 avec l'épisode intitulé "Les Croisades", véritable bouquet final, somptueusement mis en miniatures par un Didier Conrad au sommet de son art (oui, je sais, cela n'engage que moi ...).


Nos deux affreux-jojos prirent ce jour-là un malin plaisir à abattre un pan entier de notre éducation judéo-chrétienne, ce qui ne manqua pas de faire tâche dans cet hebdomadaire de tradition catholique.


En seulement quatre petites pages de bandes dessinées fut allègrement massacré tout ce que nos manuels scolaires nous avaient inculqués sur cette glorieuse page de l'Histoire de France : les Croisés de Yann et Conrad, assoiffés de Graal, n'avaient en effet rien à envier aux hooligans du kop Boulogne du PSG élevés à la Heineken, et leur mystique mission s'apparentait désormais plus à une sympathique ratonnade (que ne renierait pas tout bon gardien de la paix nostalgique de l'automne 1961), quand elle ne confinait pas tout simplement à du tourisme sexuel !


Cette version épicée me parait néanmoins toujours non seulement plus drôle, mais également nettement plus crédible que la version officielle édulcorée !


Ultime bras d'honneur de nos deux terroristes en herbe ou purge immédiate de la direction ? Toujours est-il qu'on ne reverra pratiquement plus Conrad, le hardi Marseillais, dans les pages du périodique avant 1991, avec son lumineux Donito.
Après "Polly Littledwarf", un ultime épisode (évoquant plus une parodie d'Andersen que de Charlier/Joly) écrit pour Frank Le Gall, le Breton Yann ne réapparaîtra quant à lui qu'en 1999, avec le scénario des "Chasseurs d'Étoiles" pour Olivier Wozniak.


Alain de Kuyssche sera remplacé dans l'année à la tête du journal par Philippe Vandooren.


Quant au vieil Oncle Paul, il semble qu'il n'ait pas survécu à ce lâche attentat !


Signalons que Tome et Janry illustreront également dans les pages de Spirou, toujours en 1982, les joyeux exploits de Landru. Ils garderont néanmoins leur place.

On rappellera aussi que Vents d'Ouest a édité en 1986 un album à mes yeux "indispensable", bien que longtemps soldé, intitulé "Les Histoires Merveilleuses des Oncles Paul", qui reprend les versions alternatives de Bercovici, Chaland, Serge Clerc, Dany, Frank (une très belle (quoique non déconnante) biographie de Rodin), Goossens, Le Gall, Will, et bien entendu Yann. Pour continuer à vous enquiquiner, l'histoire de Didier Conrad reste donc inédite à ce jour : il ne vous reste plus qu'à vous lancer sur la piste de ce fameux n° 2319 ... Bonne chasse !

Voilà, aujourd'hui, tout le monde semble avoir oublié l'Oncle Paul ...
Tout le monde ? ...


19 commentaires:

Anonyme a dit…

Je n'ai pas connu hélas ce dynamitage des histoires à Paul :-(

Mais par contre, je reconnais humblement que, bien que ne lisant qu'à la fin aussi les fameuses histoires de l'oncle Paul (surtout quand on m'offrait l'album: tellement de belles vignettes à parcourir avant), une petite partie de ma culture personnelle vient (se souvient...) des fameuses histoires en question. Tous ces dessinateurs n'ont donc pas, a priori, perdu leur temps :-)

Anonyme a dit…

Tiens je n'avais pas non plus entendu parler de cette version de l'oncle Paul ... dommage que ça n'ait pas continué.

Totoche Tannenen a dit…

Boyington >
Le ton du billet est volontairement caustique, iconoclaste, partial et de mauvaise foi, mais j'assume : je l'ai voulu comme "mon petit hommage personnel" (toutes proportions gardées) à Yann et Conrad, dont c'était en quelque sorte la marque de fabrique.
J'ai longtemps hésité à laisser le titre : j'espère que le FBI et la CIA ne vont pas débarquer chez Monsieur Conrad en Caliornie. :-)
Je garde bien évidemment à l'esprit que c'était des BD "d'un autre temps" (houla, je vais vexer Boyington :-))) ) qui ont appris à plusieurs générations d'ADS à lire de la BD : tous ces auteurs n'ont donc bien évidemment pas perdu leur temps. Il faut leur rendre hommage (la liste des noms cités dans le billet est longue, et pourtant je me suis forcé à contre-coeur à l'élaguer. Tu as la liste complète sur BDoubliees.com si ça t'intéresse.

En fait, j'ai surtout connu les derniers "Oncle Paul" dessinés par Doughty et Cicuendez entre autres, dont j'exécrais le dessin (question de goût personnel) ... Il y a sans aucun doute eu des épisodes de meilleure qualité ...

Provisus a dit…

Heureux temps où Yann et Conrad étaient encore des jeunes gens plein d'ambitions et de talent. Ah Totoche, tu remues le couteau dans la plaie…

Totoche Tannenen a dit…

A qui le dis-tu !

Anonyme a dit…

Effectivement, ça a duré c't'affaire. (merci pour le lien) Bon, moi pas vexé (;-)) Tu verras p'tiot quand t'auras mon âge... Pis j'ai quand même pas pris le train dés le début, hein. Moi c'était surtout les 60, et j'en ai, comme si c'était hier, d'excellents souvenirs. Une vie bien moins moderne certes qu'aujourd'hui, mais aussi beaucoup moins speedée, avec des plaisirs simples... (Ca y est, v'là Papy reparti comme en 14, coupez-lui le son, vite!) Bon, enfin en bref, la BD de l'époque n'avait rien d'archaïque si tu veux mon avis. Mais je vois peut-être ça avec les yeux d'un... vieux! Ce qui est génial, c'est que dans les 70 plein d'oiseaux de mauvaise augure disaient: "Pff, la BD, un feu de paille, dans dix ans c'est fini" Et aujourd'hui y a tout ce que tu veux, tous les styles, tous les sujets, tous les talents possibles... "Hello you all happy taxpayers, know what, I'm happy." Par contre pour les jeunes dessineux, j'imagine que c'est moins drôle (faut faire son trou...)
On vit dans un monde formidable (heu, enfin, pas toujours)
Merci en tout cas, Totoche, pour ce billet, même si caustique, iconoclaste, partial et gnagnagna... Onc'Paul a vécu. On l'a pas oublié. Enfin, pas tout le monde. Voilà, hein, bon, certes, tain, mais!!... (comme disait l'ami Vincent H.)

Li-An a dit…

Moi je l'ai ce numéro. Et l'album aussi d'ailleurs. Et je viens de dessiner une histoire très "Oncle Paul" :-)

Anonyme a dit…

L'espace d'un instant, j'ai ressenti une grande inquiétude. Avais-je moi aussi le fatidique Spirou N° 2319 (et cette histoire de Conrad que j'avais complètement oublié) ? J'ai foncé dans mon grenier pour vérifier, et ... OUF, je suis soulagé. Je vais relire cette histoire toute affaire cessante (mon prochain billet attendra).
Sinon, j''ai relu plusieurs fois l'album, et surtout son histoire de Spirou par Chaland, qui est un petit chef d'oeuvre.
Merci Totoche pour cette redécouverte :-))

Totoche Tannenen a dit…

:-)
Malheureux !
Comment avais-tu pu oublier ce chef d'œuvre ?
Tes lecteurs vont me maudire pour le retard pris par ton prochain billet :-)

Je t'imagine bien grimpant en pantoufles quatre à quatre les marches pour aller au grenier :-)))

J'avais initialement également fait un parallèle avec

"La Vie exemplaire de Jijé"

(pas "Le plus grand groom du monde") par Chaland, Sire et Clerc, mais je l'ai effacé pour ne pas dévier du sujet et alléger le billet.

Anonyme a dit…

Eh bien, j'ai lu cette histoire avec un grand plaisir.
Ce qui est amusant, c'est le ton très sérieux du récitatif de Yann (excepté quelques gags sur la dernière page). Cela fait très "Oncle Paul", même si le message est inverse, et subversif.
Quant à Conrad, il est à son meilleur, avec un dessin qui cherche à être expressif plutôt que lisible. C'est un contratste frappant avec ses derniers albums.
Bon, je vais me remettre à a chronique ;-)

Anonyme a dit…

ah, avoir lu tout ça avant de faire les bouquineries cet après-midi... il y avait une tale avec plein de 2300 et 2400... le 2319 s'y trouvait sans doute mais comme je ne l'ai pas cherché...

en revanche, j'ai déniché une histoire de sibylline que je n'avais pas encore. c'est fou, je vais vraiment finir par les avoir toutes.

Totoche Tannenen a dit…

Bienvenue dans la cabane à Totons, euuuh ... je voulais dire à Boboche, David.
Enfin, tu vois ce que je veux dire ...

Ouin ! C'est achalant. Il va falloir que tu trouves ça o.p.c.

Anonyme a dit…

quel accueil! mouais, c'est vrai qu'avec les derniers posts, ce ne sont pas les totons qui manquent. :)

sinon, quelle maîtrise! «achalant», «o.p.c.», on n'apprend pas ça dans le berlitz...

Anonyme a dit…

Mes préférés restent "les Totons Flingueurs". Arf ! Arf !

Je m'entraine en regardant "Un gars, une Fille" en V.O (la seule, la vraie) sur TV5 :-) (
Au fait, tu peux voir des photos de Sylvie Léonard dans sa loge sur le lien vers le site de Martine Doucet (mais on ne voit pas ses totons :-( ...)

Toi aussi, tu es de ceux qui pensent que Didier Conrad a "chié ses plus belles crottes" ? :-)

Sinon, j'ai bien rigolé avec ton "Histoire Absolument Impubliable" que j'ai dévoré de la première à la denière page ! Ça peut se trouver où ?
Avec ta permission j'aimerais bien en parler par ici.
Moi aussi Pévé me faisait marrer !

Anonyme a dit…

pour parfaire ta culture québécoise, et notamment si tu aimes un gars, une fille, tu devrais aller chercher le coffret DVD de rock et belles oreilles, émission d'humour assez con où guy a lepage a débuté dans les années 1980.

dans le genre comique, il y a aussi les capsules de françois pérusse (en version queb' évidemment) qui valent leur pesant de cennes noires.

tu peux bien parler de l'histoire absolument impubliable si tu veux! c'est quoi cette histoire de demander ma permission? :) on ne peut plus le trouver, malheureusement (déjà, l'«édition originale» était de facture assez gravement fanzinesque), quoique s'il y a de la demande, j'en ferai peut-être, un de ces quatre, un petit livre en édition très limitée (certainement pas plus de 50 exemplaires). en attendant, tout le monde peut le lire gratos sur mon blogue alors...

et comme tu semblais te demander si j'avais fait d'autres histoires dans le même genre... il y a les histoires du tuzeur de justiciers faites à la même époque que l'histoire absolument impubliable. tu peux les lire sur mon blogue dans la catégorie «péchés de jeunesse» où j'ai publié toutes celles qui sont encore lisibles aujourd'hui.

plus récemment j'ai fait un autre livre improvisé comme l'histoire absolument impubliable (mais cette fois, plus sarcastique qu'absurde). ça s'intitule minerve et ça a même été édité chez mécanique générale. on peut sans doute le trouver par chez toi. ce livre a dû dérouter pas mal de monde parce que je n'en ai eu que quelques échos de lecteurs, et très peu de critiques.

puis, à la suite de minerve, j'ai fait une histoire pour les 24h de la BD de montréal: ici. je ne sais pas si tu y retrouveras ce que tu aimais dans l'histoire absolument impubliable mais bon, pour moi, tot ça provient un peu de la même façon de raconter des histoires.

(ouf, quel sens de l'auto-promotion, mes amis.)

Totoche Tannenen a dit…

Merde, merde, merde.
Je suis allé acheter "Printemps Lunaire" hier, et je l'ai laissé à la librairie.
Quel con.

Arnaud a dit…

Pas sûr que ce soit leur dernière histoire pour Spirou ; certes elle est parue presque en même temps que la fin abrupte d'Aventure en Jaune (à deux ou trois semaines d'intervalle, quelque chose comme ça) mais le trait me semble plus jeune peut-être que sur les planches des Innommables qui paraissaient alors. M'est avis donc que la rédac' embarrassée l'a laissé dormir quelques mois dans ses placards (pratique courante à l'époque, les Spirou n'étaient quasi composés que de ça). A moins que ce ne soient les couleurs qui me donnent cette impression... Néanmoins cette histoire est excellente, pourquoi elle n'a pas été reprise dans le recueil de Vents d'Ouest reste pour moi un mystère.

Yann de retour chez Dupuis en 1999 ? Allons ! Et Marie Vérité alors :D (Sans parler de Donito ou même s'il n'est pas crédité son ombre semble planer sur les deux derniers épisodes)

Arnaud a dit…

Rectification : les Spirou PLUS

Totoche a dit…

Bien joué... Il faudra que je vérifie dans mes archives si Yann était crédité sur "Marie-Vérité" au moment de sa pré-publication ; en tous cas BDoubliees.com l'a zappé (ça m'apprendra à faire confiance au net).

Pour Donito, j'avais cru comprendre que c'était surtout Wilbur (alias Sophie Commenge) qui n'avait pas été créditée.

Ouaip, certains de ces Spirou spéciaux (Album +, Festival...) regorgent de pépites et sont indispensables aux fans inconditionnels de Yann & Conrad.