
C'est donc avec "Dans mes yeux" que se clôt la trilogie consacrée à la relation amoureuse, entamée en 2008 par Bastien Vivès avec "Le Goût du Chlore", également publié par KSTR, et poursuivie avec ""La Boucherie", dont la version corrigée vient d'être réimprimée par les éditions Warum.
Les premières pages qui avait momentanément été mises en ligne sur son blog dès novembre 2007 m'avaient déjà conquis.
Moi aussi j'étais captivé par les yeux océaniques de la fille, par ses cheveux de feu, son nez à peine esquissé, ses éphélides masquées par sa trop grande écharpe. J'étais ému par sa fragilité, sa maladresse, sa naïveté, sa légèreté... J'étais également interloqué par les lieux évoqués qui me paraissaient étrangement familiers, comme ces scènes nocturnes à la bibliothèque.

Cette jeune femme fatale un peu paumée dont la beauté fait oublier ses caprices, son lunatisme, sa superficialité et à qui l'on offrirait pourtant des perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas, qui finit par nous faire le jeu du "je sais plus où j'en suis mais c'est pas toi, toi t'es très bien", il est probable que vous l'ayez aussi déjà croisée. On sait qu'il faut s'en méfier. Mais bon, comme le cœur a ses raisons que la raison ignore, personne n'est à l'abri... Bastien Vivès non plus. Et lui n'a pas peur de coucher sur papier ses propres souvenirs.
Alors certes, on me rappelle que l'histoire en plans subjectifs, à la "Paris Dernière", ça a déjà été fait au cinéma, dans "La Femme défendue" avec Isabelle Carré par exemple, mais je pense que ce serait une erreur de s'arrêter au côté purement technique de ce livre, justement réalisé avec "trois fois rien" par Bastien Vivès : quelques crayons de couleurs, un stylo Bic ® et des bouts de papiers remontés en gaufrier, pour faire passer des sentiments, ces sentiments, ses sentiments... Déjà, moi je trouve ça hyper balèze. Si.
Contrairement au film de Philippe Harel, l'auteur-narrateur, qui tient les crayons, reste ici paradoxalement muet. Comme dans Le Goût du Chlore (rappelez-vous la scène de la piscine), on est donc amené à deviner une partie du texte, mais cette fois-ci, tout au long de l'"aventure". On pourrait d'ailleurs imaginer un second volume, cette fois-ci "vu de l'autre côté".
Bien vue aussi, la séquence où interviennent des tierces personnes, et dont les dialogues sont floutés, échappant totalement à notre amoureux pour qui la fille est devenue le centre du monde.

Telle l'infime partie émergée des icebergs visible depuis la surface, à priori anodins, voire superflus, tous ces petits riens, ces silences, ces hésitations nous en disent pourtant long et bien plus que de fastidieux dialogues sur l'état d'esprit de nos deux tourtereaux... ainsi que sur le talent de Vivès pour réussir à les capter et les retranscrire (petite précision : aucune image n'est réalisée d'après photo). Mis bout à bout, ce sont tous ces minimes détails qui donnent le sel à cette "banale" histoire d'amour qui, comme en général, finira...
Non, j'l'ai pas dit.
Certains esprits chagrins trouveront peut-être ce livre un peu moins abouti que "Le Goût du Chlore", surtout s'ils avaient - comme moi - fait de ce dernier un de leurs albums préférés de l'année dernière. Cela peut peut-être s'expliquer par le fait qu'il a tout simplement été réalisé auparavant. Je suggèrerais donc de lire (si possible) "Dans mes yeux" avant "Le Goût du Chlore". On se demande d'ailleurs pourquoi l'éditeur les a publiés dans cet ordre et on peut également regretter que "La Boucherie" ne se retrouve pas dans la même collection (question de format ?).
Fasciné par les dessins de Bastien, je suis du coup allé m'acheter moi aussi une boîte de crayons de couleurs (chez Fabio Lucci). Pour voir.

Hum... Bon, bref... J'ai bien fait de pas y avoir mis plus de deux balles.
Un petit strip découpé dans le n°25 du magazine promotionnel Castermag', réalisé pour la rubrique Carte Blanche.
