mardi 20 avril 2010

Paul en France

La Place du Québec à Paris,
vue par Michel Rabagliati

Je ne sais pas si l'éruption du volcan Eyjafjölltrüc permettra à Michel Rabagliati de prolonger présentement sa tournée en France, voire en Europe (ses albums sont après tout traduits en allemand, anglais, espagnol et italien), mais en attendant que leur avion re-décolle un jour, les voyageurs bloqués à Paris vont quant à eux avoir le temps d'aller à la rencontre de Paul, l'alter ego dessiné de l'auteur québécois, dont quelques planches originales seront exposées jusqu'au 12 mai au Centre Culturel Canadien, situé sur l'esplanade des Invalides, à deux pas du comptoir d'Air France !


Les bédéphiles regretteront évidemment que cet accrochage de planches ne soit étoffé de quelconque document, mais cela permettra toujours aux touristes de passage dans les beaux quartiers de se faire une idée sur cette série et d'en apprécier la subtile évolution graphique depuis ses débuts, en 1999.



Rappelons que Michel Rabagliati débuta comme infographiste et que c'est Le Journal d'un Album de Dupuy et Berbérian qui servit de déclic à sa deuxième carrière. Ne culpabilisez pas, donc, si vous pensez à Monsieur Jean en lisant les tribulations urbaines de Paul : Michel (vous suivez toujours ?) assume fièrement cet héritage.

étude pour le prochain Paul,
extrait du site de Michel Rabagliati

Les lecteurs allergiques aux autobiographies dessinées auraient tort de bouder Paul car, si on se donne la peine de commencer la lecture, on se rend rapidement compte qu'ici c'est... "différent".
Si Michel Rabagliati raconte effectivement plus ou moins sa vie, lui sait le faire avec assez de recul et d'humour pour qu'on n'ait jamais l'impression de lire un truc nombriliste... pour ne pas dire chiant. Ses souvenirs, intelligemment distillés, se transforment ici, grâce à un dessin efficace et soigné -à la fois clair et fouillé- en autant de détails rendant ces vraies-fausses fictions réalistes.

Paul à Québec (dans le Top Totoche 2010)

Ainsi se déroule devant nos yeux, au fil de ces romans, un véritable tableau du Québec des années 70 à nos jours, brossé avec une grande sensibilité (et aussi un brin de nostalgie) par Michel Rabagliati.
L'émotion atteint son acmé dans le crissement bon Paul à Québec, dernier opus en date, récompensé cette année par à Angoulême par le prix du public, dont la fin poignante m'a mis la larme à l'œil.

Pourquoi une pastèque ?

Quitte à passer pour un niauseux, je prends le risque de préciser que les québécismes qui accompagnent ces histoires sont vraiment délicieux et vous suggère de les savourer "à voix haute", comme on se délecte en regardant en V.O. (sous-titré en France !) un épisode d'Un Gars, une fille joué par Sylvie Léonard et Guy A. Lepage.

Paul Emploi

Paul rencontre un fanc succès au Québec où il rafle les prix et où son auteur est même parfois interpelé dans la rue par ses fans. Une lectrice de Montréal me confiait récemment qu'elle et ses amis se reconnaissaient entièrement dans les albums de Paul, contrairement à ceux du Magasin Général qu'ils trouvent trop "typiques", pour ne pas dire caricaturaux. Peut-être est-ce d'ailleurs ce côté "carte postale" qui fait le succès de ce côté-ci de l'Atlantique de la pourtant très belle série de Loisel et Tripp, Canadiens d'adoption ?


Ultime consécration (?) et scoop du Plan B(d) : une adaptation cinématographique de Paul serait à l'étude..., tournée en live-motion, comme on dit chez nos cousins !

Je termine en précisant qu'on trouve une intéressante interview de Michel Rabagliati dans le n°25 de Casemate.

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Bonus Totoche-gadget :
cette semaine : le somptueux sac Paul et sa blonde (disponible chez Renaud-Bray) !



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Merci à Martine et Christian.

lundi 19 avril 2010

Tigresse Blanche


J'ai été saisi d'un bref vertige en parcourant le Télérama de cette semaine (n°3144, qui titre sur la fin éventuelle du monde paysan) où l'éditrice franco-chinoise Ge Fei Xu avance, sans que j'aie pu le vérifier, le chiffre de "50.000 diplômés en bande dessinée [sortant] chaque année [des écoles chinoises] " !

Damned ! Après avoir affronté la vague des comics, la déferlante des mangas, puis la tempête de la surproduction, les dessinateurs franco-belges doivent-ils maintenant s'attendre à un véritable tsunami venu de l'Empire du Milieu ?

On se rassure comme on peut en se disant que les scénaristes auront peut-être un sursis. "On ne peut demander à des gens à qui on a interdit de penser pendant trente ans de savoir bien raconter des histoires" ajoute, sans rire, la jeune femme. Ouf, on respire.

Oui, oui, j'ai vérifié : c'est bien le numéro de cette semaine, pas celui du 1er avril...

samedi 17 avril 2010

Le silence, le soir au fond des fjords

(Alpha et Oméga à la Pinacothèque de Paris)


En 1908, victime d'un sévère syndrome anxio-dépressif compliqué de délires hallucinatoires et persécutifs -que l'abus d'aquavit ne devait pas arranger- Edvard Munch (1863-1944), est hospitalisé plusieurs mois dans une clinique de Copenhague.
C'est cette même année qu'il entreprend l'écriture de l'étrange Alfa og Omega (Alpha et Oméga).


Le début de cette fable commence comme une banale histoire d'amour. On pense évidemment à Adam et Ève au jardin d'Eden ; d'ailleurs, comme dans La Genèse, cette histoire va vite dégénérer.


En effet, la rencontre avec le serpent va nous faire découvrir une Omega non seulement nymphomane, mais également zoophile ! En se tapant tous les animaux de la création, la volage finira par attiser jusqu'à la haine, dans une ambiance crépusculaire, la jalousie du malheureux Alfa qui, souffrant en silence, supporte par ailleurs difficilement les railleries dont il fait l'objet de la part de sa grotesque progéniture dégénérée.
On s'en doute, cette histoire d'amour finira mal, très mal...


Les vingt-deux lithographies réalisées par le peintre norvégien pour illustrer cette sombre fable peuvent être admirées dans le cadre de l'exposition Edvard Munch ou L'Anti Cri proposée par la Pinacothèque de Paris jusqu'au 18 juillet 2010.

Buchet Chastel a pubié Alpha et Oméga en français dans Le Cahier Dessiné n°4, paru en 2004.


Alfa og Omega est enfin disponible en V.O. sur le site danois Artscandinavia (d'où les images du billet proviennent - il existe heureusement une traduction en anglais et en allemand ! -). La qualité de reproduction ne permet cependant pas d'apprécier à leur juste valeur les superbes dessins de Munch.

mercredi 14 avril 2010

En passant par Le Lorrain

(Turner et ses peintres)
Le Coin des Classiques

Je suis toujours un tantinet gêné, quand je lis des critiques, qu'ils soient amateurs ou professionnels, auteurs ou simples lecteurs, qualifier certains auteurs, héritiers d'une certaine forme de bande dessinée dite "classique", de "sous-Franquin", de "suiveur de Mœbius", voire de "fils caché débile de Morris" (quand ils sont vraiment en forme)...
Peut-être pensent-ils eux aussi, en fidèles suiveurs de Picasso, qu'il faille absolument "désapprendre à dessiner" pour créer une œuvre valable ?



J'entends bien que la bande dessinée ne doit pas rester figée, ne peut bégayer à l'infini, mais j'ai cependant la désagréable impression qu'à l'époque du "moi-je", reconnaître des maîtres ou se revendiquer d'une école est souvent considéré comme une tare. Et puis, tout le monde n'est pas Picasso...


Enfin, que diable ! À ses débuts, Hergé a quand même un peu regardé du côté de Saint-Ogan ; Jijé, Brüno et Tillieux se sont eux-mêmes inspirés d'Hergé ; Franquin, Will et Giraud tentaient d'imiter Jijé pendant que Morris rêvait de travailler pour Disney ; plus tard, ce fut à Hermann de marcher sur les pas de Giraud, etc. Tous sont pourtant aujourd'hui reconnus comme de grands auteurs ayant apporté leur pierre au neuvième art, non ?

Le Déclin de l'Empire Carthaginois,
J.M.W. Turner, 1817

Port de Mer avec l'Embarquement de Sainte Ursule,
Claude Gellée
dit Le Lorrain, 1641

Peut-être plus modeste et en tout cas loin de partager ces idées, Joseph Mallord William Turner pensait, lui, que choisir, regarder et copier ses maîtres, ce qu'il fit tout au long de sa carrière, n'était pas honteux mais bien au contraire indispensable, non seulement pour apprendre, mais également pour progresser et permettre de se surpasser.
Turner ne se considérait pas comme un suiveur figé, mais plutôt comme un continuateur, héritier d'une certaine tradition. Cela ne l'a pas empêché d'intégrer petit à petit toute la modernité de son époque dans sa peinture : il est même considéré aujourd'hui par certains comme un précurseur, certes involontaire, de l'impressionnisme et de l'abstraction.
Pas mal, pour un simple "suiveur", non ?

Paysage avec Jacob, Laban et ses Filles,
Claude "Le Lorrain" Gellée
, 1654

Palestrina-Composition,
J.M.W. Turner
, 1882

Les amateurs de la rubrique "déjà-vu" se délecteront certainement comme moi des toiles du peintre anglais, que le Grand Palais expose jusqu'au 24 mai 2010 aux côtés des œuvres qui les ont inspirées, de Girtin à Bonington (rien à voir avec les avions) en passant par Le Lorrain, Canaletto, Poussin, Titien, Rembrandt, Rubens, Cuyp, Van Ruisdael, Watteau, j'en passe et des meilleurs.

dimanche 11 avril 2010

Crime scenes

Quand Grosz fait du Winshluss :
Caïn ou Hitler en Enfer, 1944

Blake, Daumier, Kubin, Steinlen, Toulouse-Lautrec sont quelques-uns des principaux inculpés dans cette sordide histoire de crimes en série perpétrés pendant près de deux siècles et pour laquelle le Musée d'Orsay, qui expose les pièces à conviction jusqu'au 27 juin 2010, s'est porté partie civile.

Avant de délibérer, les jurés devront prendre leur temps, et surtout passer outre leurs éventuels préjugés négatifs sur les ouvrages collectifs, tant la liste des prévenus est longue : en effet, figurent également dans le box des accusés messieurs Dix, Grosz, Hugo, Magritte, Redon, Rops, Schwabe (sa Vague est hallucinante), Valloton, Warhol, etc. On se demande bien de quelles protections a pu bénéficier une crapule comme Di Marco pour échapper aux poursuites...

Et si les jurés ne ressentent pas un frisson parcourir leur échine devant la terrifiante machine à décolleter de Joseph Ignace Guillotin, tapie derrière un cordon dans la pénombre d'une petite salle, telle un tueur en série rendu inoffensif derrière les barreaux de sa cellule, les plus sensibles pourraient toutefois être pris de nausées vers la fin du parcours, devant ces moulages de têtes froidement alignés en rang d'oignons ou ces clichés de scènes de crimes auxquels aucun détail n'échappe, à la fois splendides et à la limite du soutenable.
Heureusement pour eux, la télévision les a vaccinés depuis belle lurette.

Sale affaire, fiston...

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L'exposition Crime et Châtiment est à voir au Musée d'Orsay, du 16 mars au 27 juin 2010.

vendredi 9 avril 2010

Le Trez est au départ

(réminiscence ?)

Gros Quinquin (et Milou), par Trez
in France Soir, 1982

Stupeur et consternation !
En fouillant dans mes archives, je viens de me rendre compte que tout porte à penser que même le titre de ce blogue avait été pompé sur cet anodin petit dessin, de surcroît découpé dans un journal de droite, et dont j'avais complètement oublié l'existence ! (on dit ça, on dit ça...)

Ça m'inquiète, je perds vraiment la mémoire... Un peu comme ce héros de BD à succès, devenu un jeu à gratter... Râââh, comment s'appelle-t-il, déjà ???

dimanche 4 avril 2010

Autos Biographies


En 1997, Starter, qui avait animé la Chronique Automobile de Spirou de 1957 à 1982, faisait un bref retour dans les pages de l'Auto-Journal afin d'y présenter la toute nouvelle Smart Fortwo, qui, il est vrai, a des faux airs d'œuf de Karamazout !


C'était aussi le retour de Jidéhem, dont la dernière véritable apparition dans l'hebdomadaire belge remontait à 1994, avec Le tombeau des Glyphes, ultime et très belle histoire de Sophie, initialement prévue -me semble-t-il- pour Ginger, personnage créé en 1954 pour Héroïc-Album et ressuscité, toujours dans Spirou, en 1981.

Ginger-L'Affaire Azinski,
Jidéhem,
Dupuis, 1982

On apprendra dans l'interview qui accompagne cette dernière (?) Chronique de Starter que le fidèle compagnon de route de Franquin, Delporte, puis Walthéry, et grand spécialiste de la tôle froissée, avait également déjà collaboré à l'Auto-Journal pour y illustrer des accidents de la route. C'était en... 1959 !



samedi 3 avril 2010

Égaré dans la vallée infernale

Cédant avec faiblesse à la pression d'une certaine catégorie de lecteurs (ils se reconnaîtront), j'en remets une couche avec Bob Morane...



Un an après le vibrant hommage de Yann et Conrad à Bob Morane, c'était autour des membres du groupe Indochine de proposer leur version du personnage d'Henri Vernes. Moins iconoclaste mais tout aussi efficace, L'Aventurier (car c'était bien lui) fera un carton en 1982, apportant la gloire au jeune groupe français (et si certains p'tits clous se demandent pourquoi ce titre n'est jamais entré au Top 50, c'est que celui-ci n'était pas encore créé. Nooon ? Si.).

blanc-dumont concert indochine affiche sncf 1986
En 1986, je tombai sur cette affichette dessinée par le dessinateur de Jonhatan Cartland, Michel Blanc-Dumont. Sans Carte Jeune mais grâce à des relations bien placées, je me débrouillai aussitôt pour obtenir une place, ce qui me permit d'assister -sans scrupule mais avec un certain émoi- à mon premier concert !
En chœur :
"Bob Morane contre tout chacaaal, l'aventurieeeer contre tout guerrieeeeeer " (bis)