M-A. Mathieu, Delcourt, 2009
Cela ne me rajeunit pas mais je suis assez fier de me compter, mine de rien, parmi les plus anciens et fidèles lecteurs de
Marc-Antoine Mathieu (frère de Gérard), un auteur
(également scénographe reconnu) dont le talent et l'intelligence lui permettent de s'adresser aussi bien au grand public habitué aux
surpr super-productions Delcourt
(qui édite notamment Julius Corentin Acquefacques, Prisonnier des Rêves, un lointain cousin de Little Nemo, fonctionnaire au ministère de l'humour) qu'à l'exigeant et raffiné lectorat élitiste de L'Association
(où il a déjà signé trois "Pattes de Mouches").
Gérard Mathieu et Clotaire Legnîdu
in Le Banni n°1 (février/mars 1988)
Ses premiers récits, très noirs et d'ailleurs déjà tout de noir et blanc z'habillés, assez influencés par
Tardi, parurent dans les pages de
Marcel/Le Banni, deux éphémères magazines lancés dans la deuxième partie des années 80 par Marcel Coucho (Trade Marque), ancien membre illustre de l'écurie Fluide Glacial dont je regrette toujours amèrement le départ. On peut aussi en rapprocher les histoires, bien que plus crades, du dessinateur
Kafka, également présent au sommaire du Banni.
L'unique numéro de Marcel,
qui aurait mérité de concurrencer plus longtemps Fluide Glacial
Deux histoires de cette époque, Octobre Noir (Marcel I, 30-33) et Chez Noël (Le Banni I, 19-23), ont été reprises dans l'album L'Ascension et autres récits, où Mathieu abordait déjà la question du divin, dans un récit-titre commandé en 1994 par les éditions Autrement pour le collectif
Le Retour de Dieu.Paris-Mâcon, un autre de ces récits complets (Le Banni III, 34-45), réalisé avec son autre frère Jean-Luc sous le pseudonyme commun Mathieux, est également paru en album à l'italienne dans la Collection X de Futuropolis.
Les quatre planches de
Monsieur Hamid (Le Banni II, 6-9) dont l'ambiance rappelle cette fois le blues de
Louis Joos ou des premiers
Loustal, ne furent reprises que dans le tirage de luxe de l'album
Le Début de la Fin/La Fin du Début (J.C.A. tome 4)
Quant à
N'Entrez pas Dans le Jardin Fermé (
Le Banni IV, 50-56), un récit de sept pages au lavis, co-écrit avec
Jean-Luc, il reste toujours inédit en album.
Aujourd'hui, bien que paraissant moins pessimistes (?), les récits de
Mathieu demeurent assez sombres. Les cauchemars ont fait place à la rêverie et le dessin, s'il ne s'est pas éclairci -il faut voir
Mathieu jouer avec les noirs dans
Les Sous-sols du Révolu (pp 20-21)-, est devenu plus personnel, tantôt épuré, tantôt surchargé, mais immédiatement reconnaissable et tout à fait adapté aux mondes kafkaïens peuplés de foules anonymes amassées en troupeaux au pied de constructions stalino-schuiteniennes, dépeints par l'auteur :
Brazil et
Les Cités Obscures ne sont pas loin.
Aucun paradoxe ne résiste aux raisonnements par l'absurde de
M.-A. Mathieu qui nous rappelle, un peu comme le faisait le magazine Pilote de la grande époque ou, dans un tout autre genre,
Émile Bravo (également passionné par la science), avec
Les Épatantes Aventures de Jules, que l'on peut s'amuser à réfléchir !
Ex-libris en 3-D (à déguster pleinement avec les lunettes anaglyphes !)
pour La 2.333e Dimension, Delcourt, 2004.
Il faut absolument au moins lire L'Origine, le premier tome des rêveries de Julius Corentin Acquefacques dont la faille spatio-temporelle (nous n'en révèlerons pas l'astuce ici) que je pris au premier coup d'œil comme un défaut, faillit me faire rapporter le livre à la librairie !
Ce n'est d'ailleurs peut-être pas un hasard si, comme
Émile Bravo dans
La Question du Père (la cinquième aventure de Jules, où l'un des protagonistes n'est autre que le Père... Mathieu !),
M.-A. Mathieu, qui se définit comme "agnostique pratiquant", aborde lui aussi le thème de la religion dans son dernier ouvrage.
En convoquant
Dieu en personne sur Terre et en confrontant ainsi le divin au réel, il exploite peut-être le paradoxe ultime. Que sortira-t-il de cette rencontre entre cette Entité Spirituelle et les Hommes, croyants ou non, qui ne vont pas tarder à lui demander de rendre des comptes ?
Ex-libris pour Mémoire Morte, Delcourt, 2000.
On l'a bien compris, nul besoin d'être passionné de Mathématiques, de Physique ou de Spiritualité pour savourer ces histoires, car en vérité je vous le dis, c'est bien de notre société matérialiste, consumériste, mondialisée, de plus en plus judiciarisée et hyper-médiatisée jusqu'à l'absurde qu'"Il" est censé avoir créée que
Mathieu se joue dans
Dieu en Personne.
Il serait regrettable que le format
(+- 130 pages), le caractère à priori austère
(absence de couleurs) et le prix
(commandez-le à la bibliothèque si vous ne pouvez pas dépenser les 17,5 € qu'il mérite cependant) fassent rater cet album aux "novices". Une suggestion pour en minimiser le coût, Mr
Delcourt : pourquoi ne pas l'avoir imprimé sur... papier-bible ? Arf ! Arf ! Arf ! Hum.
Bref, heureux ceux qui ouvriront là pour la première fois un bouquin de
Marc-Antoine Mathieu car n'est-il pas écrit que "
les derniers seront les premiers" ?
Allez, amen et bon dimanche, les z'ouailles.
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Pour en savoir plus :
Tout sur
Marc-Antoine Mathieu.
Interview chez Delcourt pour
Dieu en Personne.