vendredi 25 septembre 2009

C'est pas l'homme qui prend la mer...

(Bleu Marine)

Transat par Aude Picault,
éditions Delcourt, collection Shampooing, 2009

D’emblée, une couverture bleu marine, bleu d’encre, toucher doux et velouté. Un paysage, une nuit, la mer.
Le récit de voyage d’Aude Picault s’ouvre pourtant sur l’image de la ville et de ses habitants, caricatures d’eux-mêmes.
Or donc, l’ouvrage illustré commence comme les pires chroniques de fifille, par les tribulations descriptives du quotidien d’une graphiste sur Mac, dans la grisaille d’un Paris où les bobos vont au café, au supermarché du coin de la street, mangent des sushis, roulent en vélo, ont des écharpes longues, prétendent être sans tabous et libres d’aimer. Une succession de clichés -des carrés crayonnés, des figures fuyantes, des rues bigarrées, encombrées, des vitrines où les clients s’exposent- introduit le sujet féminin.

Métro-Boulot-Bobo
Soit une cosmo-girl hantée par ses copines autocentrées, névrosées, épanouies mais trompées.
Soit une narratrice, seule dans la foule, niée parfois, muette souvent.
Soit une Parisienne aspirant pourtant à une échappatoire, un ailleurs extatique, exotique. Un voyage initiatique, en bateau.
Élève docile, Aude s’attèle d’abord à la lecture appliquée des livres, comment faire un nœud, de quoi se compose le squelette d’un navire, quels risques menacent en mer…
L’ouvrage prend alors un détour inattendu, un chenal où les navires fendent les eaux. Le livre s’ouvre au lecteur et à l’intrépide citadine.


Premier acte, la narratrice s’isole, s’évade sur une île française loin du monde, reliée à la terre ferme par un seul canot hebdomadaire. Elle écrit, elle dessine, elle invente une histoire simple pour enfants. Abordant ainsi un chemin dérobé, à mille lieues de son univers marketing. Le trait se fait plus souple, l’image gagne en rondeur. Le dessin déborde, les flots éclaboussent la page. La femme devient auteur, s’affranchit des codes urbains et commerciaux. Froid, vent, mer, promenade dans la lande, sur le sable, des jours à ne croiser nulle âme : l’apprentissage de la vie sans sa sociabilité et la découverte d’un monde sauvage où l’humaine se révèle civilisée se répondent en écho.
Avant-goût de ce que la mer pourrait lui offrir…

Second acte : le récit s’amplifie, prend du volume. Aude quitte Paris, la France et ses côtes escarpées, pour l’inconnu, direction le Cap-Vert et surtout une croisière, un cabotage dans les eaux antillaises à bord de voiliers, mythiques, dont le Darwin Sound. L’histoire prend alors la tournure d’un projet picaresque, défi lancé à elle-même. Aude se frotte à des marins routards passionnés, «vieux» pétris de bon sens, empathiques et rudes à la fois, qui partagent des quarts et des histoires. Des gueules, des corps élastiques, le geste s’assouplit, libéré de la géométrie des villes.
Et la mer, décrite à coup de traits griffés, envahit le papier, sur des pages dédoublées, toutes voiles dehors. La dessinatrice s’exonère des codes graphiques, dépasse le cadre, fait usage du vis-à-vis, offre à son spectateur la violence de l’océan, son calme après la tempête. Marines zébrées, rayées en noir et blanc d’un paysage toujours composé des mêmes éléments (ciel, eau, horizon), mais toujours changeant, mouvant, au gré des vents.


On le devine, ce voyage aura changé les perspectives de la jeune femme. Car hors Transat, Aude est également croqueuse de paysages au fil de ses voyages au crayon de couleur sur ses carnets d’évasion.
Aude
est aussi la fille d’un père qu’elle a perdu, qui a forcé la fin et dont elle décrit la relation dans un Papa saisissant.



A la fin du voyage-ouvrage, on tire au moins deux leçons :
- Leçon n°1 : La dérive désigne sur un voilier la partie immergée dépassant de la coque en profondeur, pouvant être relevée, et destinée à s'opposer aux forces transversales aux allures de près.
- Leçon n°2 : Ne pas se fier aux apparences : derrière la vie ordinaire d’une fille de son temps se cache la profondeur abyssale d’une quête aquatique et quasi existentielle. Pour le bonheur de nos yeux mouillés de sel, baignés par la houle.

Marine, stagiaire au Plan B(d)

"Et la mer se déchire,
infiniment brisée,

par des rochers qui prirent
des prénoms affolés."
(
Jacques Brel - Les Marquises)

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Dis, Marine, tu te fiches de moi ou quoi ? Je t'avais commandé un billet à la Cosmopolitan, pas à la Télérama ! Pourquoi pas à la Voiles et Voiliers pendant que tu y es ?
Tu t'imagines que c'est comme ça qu'on va attirer des meufs sur le blog ? Si tu ne fais pas fuir les mecs, ce sera déjà pas mal.
...
(Et puis ça veut dire quoi "empathique" ?)

3 commentaires:

THIERRY CHAVANT a dit…

Très belle critique et très juste, j'ai adoré son bouquin aussi, les doubles pages graphiques évoquant l'océan, les vagues, nuages et lumières sont une véritable prouesse graphique à couper le souffle. J'ai croisé l'auteure à une interview radiophonique et je peux attesté qu'elle est aussi gracieuse que son dessin.

Raymond a dit…

Bonne critique qui reflète bien le contenu et le message du livre. Ce que j'y ai le plus apprécié dans cet album, c'est sa partie silencieuse, c'est à dire ces grands paysages maritimes occupant une double page où la dessinatrice essaie de recréer l'ambiance des grands espaces.

Sinon, j'ai une vague petite idée aur l'auteure de ce billet. Est-ce que je me trompe ?

Totoche Tannenen a dit…

Thierry > Je confirme.

Raymond > Oui, tu te trompes complètement !